Il y a des jours où l’on voudrait avoir des dons d’ubiquité. Hélas...
Lundi 29 mai 2006, Amnesty International organisait un débat sur les violences faites aux femmes à la suite de la projection du film « Ne dis rien » (titre originel espagnol « Te doy mis ojos ») alors que, dans le même temps, à la Maison Internationale, Guillaume Fine, secrétaire général de Survie, tenait une conférence-débat sur « L’Union Européenne, barrière à la Françafrique ? ».
Je m’étais déjà engagée à aller y assister mais je n’ai pu résister à l’envie de voir le film de Iciar Boullain à la séance de 18h00, malheureusement sans le débat (qui n’était prévu qu’après la séance de 20h).
Pilar se réfugie avec son fils chez sa sœur Ana pour fuir la violence de son mari Antonio.
Une porte s’entrouvre sur son univers étouffant avec le petit travail que sa sœur lui obtient : vendre les billets pour les visites guidées des trésors picturaux de la cathédrale de Tolède. Antonio tente de combattre ses colères et sa violence en s’inscrivant à une thérapie de groupe. Il arrive à convaincre Pilar, toujours amoureuse mais hésitante, de revenir au domicile conjugal. Après un temps de calme « électrique », c’est à nouveau l’escalade de la violence ... jusqu’à l’humiliation de trop ! Pilar, sans plus aucune illusion sur son mari, aidée par ses collègues de travail et la perspective d’une formation de guide conférencière qui lui permet de se reconstruire, quitte définitivement le domicile conjugal.
C’est un film dur. On en sort rompue et KO comme Pilar. Hébétée aussi..
Mais c’est un film magistral, qui ne donne pas à voir la violence (pas de scènes de violence directe entre les personnes, sinon la scène terrible de l’humiliation de Pilar sur le balcon) mais qui nous la fait éprouver !
On « est » Pilar. Scotché à notre fauteuil, l’angoisse au ventre, comme elle, de voir surgir Antonio qu’elle fuit. Instinctivement on rentre sa tête dans les épaules et on éprouve la peur de Pilar ... quand est-ce que cela va éclater ? Quand le coup va-t-il partir ? Je n’avais rien éprouvé de tel depuis « Rachida » (film algérien de Yamina Bachir-Chouikh).
L’autre qualité du film est sa finesse. Rien n’y est caricatural : ni les personnages, ni les situations. Pas de manichéisme. Iciar Boullain réalise un film qui s’approche presque du documentaire. Sans pathos, elle démonte le mécanisme de « l’emprise », cette alternance de mauvais traitements (insultes, dénigrement, coups , humiliations) et de « lunes de miel » (excuses, repentance, cadeaux) qui crée un dépendance affective au mari violent tout en détruisant la personnalité de la victime.
La surveillance, le harcèlement, la pression qu’exerce le mari et qui isole sa femme de ses possibles appuis extérieurs. L’entourage, partagé entre ceux qui pensent que la femme doit rester avec son mari (personnage de la mère qui pousse sa fille à reproduire ce qu’elle-même a vécu dans son propre mariage) et ceux qui poussent à sortir de cet enfer avec parfois des maladresses face à une victime incapable de savoir ce qu’elle doit faire tant elle est un état de confusion (la soeur).
Mais Pilar a de la « chance » : l’autonomie acquise avec son travail lui permet de quitter son mari avant qu’il ne soit trop tard. Ce n’est pas le cas pour de nombreuses femmes.
Aujourd’hui, en France, une femme meurt tous les 4 jours des suites de violence conjugale !
Le rapport d’Amnesty International « Les violences faites aux femmes en France, une affaire d’état », paru en février 2006, a enfin révélé une vérité qui dérange : les violences faites aux femmes, et notamment les violences conjugales » ne relèvent pas de l’intime mais bien d’une violence de « genre », d’une violence sexiste qui concerne l’ensemble de la société.
Peu d’études avaient été faites en France sur le sujet, à l’exception de l’ENVEFF (Enquête Nationale sur les Violences Faîtes aux Femmes) réalisée en 2000 à la demande du Secrétariat d’Etat aux Droits des Femmes.
Cette enquête avait déjà mis en lumière que la violence exercée sur les femmes n’était pas une question de milieux sociaux, de pauvreté ou de faiblesse du niveau d’instruction. Elle établissait déjà qu’il s’agissait de pouvoir, du pouvoir des hommes sur les femmes, d’un problème de société.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’enquête indiquait que « Les violences physiques sont perpétrées dans tous les milieux sociaux mais parmi les femmes de plus de 25 ans, les cadres rapportent nettement plus d’agressions physiques, répétées ou non : 4 % en déclarent au moins une, contre 2 % des employées ou professions intermédiaires. La pression psychologique occasionnelle est plus fréquemment dénoncée par les étudiantes et les femmes les plus diplômées. »
source : www.eurowrc.org
Je regrette vivement de n’avoir pu assister au débat organisé par Amnesty International et qui a fait suite au film. Si quelqu’un pouvait compléter mes propos j’en serais ravie.
Marie-Claude C.
Les références cinématographiques :
1.Te doy mis ojos (Je te donne mes yeux ), film espagnol d’Iciar BOLLAIN. Sorti le 7 juillet 2004. Présenté au festival de San Sebastian 2004 où il a obtenu les prix de la meilleure actrice et du meilleur acteur. D’autre part ce film a obtenu 7 Goyas d’or (équivalent de nos Césars) en Espagne et le Grand Prix du Jury et le Prix du Public au festival de Films de Femmes de Créteil en mars de cette année. A noter que Iciar Bollain est également actrice et qu’elle a tourné avec Ken Loach dans « Land and Freedom ».
2.Rachida, film algérien de Yamina Bachir-Chouikh. Sorti le 8 décembre 2003. Caméra d’or en 2002 à Cannes dans la catégorie « Un certain regard ».
Quelques livres, entre autres, sur le sujet :
Les violences faîtes aux femmes en France, une affaire d’état, Amnesty International, Ed Autrement, 2006.
Les violences envers les femmes, Maryse Jaspard, Repères n° 424, Ed La Découverte, 2005.
Femmes sous emprise, les ressorts de la violence dans le couple, Marie-France Hirigoyen, Oh Editions, 2005.
Masculin / Féminin T. 2 - Dissoudre la hiérarchie, Françoise Héritier, Ed Odile Jacob 2002
La domination masculine, Pierre Bourdieu, Points Seuil Essais n° 483, Ed du Seuil 1998.
Quelques numéros utiles :
Police secours : 17 (ou 112 sur les portables) SAMU : 15 Pompiers : 18
Violence Conjugale Femmes info service : 01 40 33 80 60, du lundi au vendredi : 7h30 à 23h30, le samedi et jours fériés :10h à 20h
Au Centre d’Information des Droits des Femmes (CIDF) : 02 99 30 80 89.
Viols Femmes Information : 0800.05.95.95 appels gratuits du lundi au vendredi de 10h à 18h. Ce numéro répond également aux questions concernant la violence au sein du couple.
Le 115 le Samu Social - donne les coordonnées de l’établissement le plus proche susceptible d’offrir un accueil (appel gratuit 24H/24).
Fil santé jeune 0800 235 236