SNCM : les syndicats se divisent après l’échec de leur grève
LE MONDE
MARSEILLE, BASTIA de nos correspondants régionaux
Il est 12 h 05 jeudi, quand commence le dépouillement des votes, dans la salle de cinéma du Méditerranée , où s’est déroulé le scrutin sur la reprise du travail à la SNCM. La question a été posée aux grévistes : « oui à la reprise du travail et non au dépôt de bilan » ou « non à la reprise et oui au dépôt de bilan ».
Les jours de grève ne seront pas payés
Dominique de Villepin a réaffirmé, vendredi sur Europe 1, que les jours de grève à la SNCM « ne seront pas payés ». « Nous l’avons dit depuis le début. C’est un principe dans notre pays, il y a des droits, mais il y a aussi des devoirs » , a expliqué le premier ministre. Toutefois, M. de Villepin a ajouté qu’il était conscient que les familles des salariés pourront rencontrer de « graves difficultés ». Il a donc assuré que « des aménagements et des étalements » de retenues de salaires pourront être organisés.
Marc Ferro, président de la mutuelle des marins, égrène du haut de la tribune les réponses qu’il lit sur les bulletins : « Oui ! Oui ! Oui ! Non... » A 12 h 40, il lance : « Les gars, faites venir tous ceux qui sont sur le pont. » Puis, il compte : « Votants, 592, Oui, 519, Non, 73. »
La reprise est votée à 87 %. Un silence, quelques cris étouffés, deux applaudissements isolés, et de nouveau le silence. Un marin au cou tatoué se précipite sur le micro : « Je demande de ne pas applaudir. » Et puis : « Par contre, vous pouvez applaudir la grève que vous avez menée et les prochaines luttes qu’on va mener. » La salle explose dans un tonitruant « tous ensemble » .
Le secrétaire de la CGT-Marins, Jean-Paul Israël, annonce alors une manifestation vers la préfecture pour « obtenir un protocole de sortie de conflit avec tout ce que cela comporte ». Ce qui signifie notamment l’étalement du non- paiement des jours de grève.
Les salariés sortent. Beaucoup filent sans mot dire. D’autres se réconfortent dans de petits groupes bavards. Salim Chikhoune, qui a si souvent harangué les foules marseillaises durant les manifestations, s’adresse aux journalistes : « C’est un recul social énorme », dit-il, « c’est 400 emplois qui vont disparaître à Marseille ». Puis il lance : « On a voté entre la peste et la gale, mais on a préféré s’injecter nous-mêmes le médicament pour rester vivants. » Ce qui a été gagné ou perdu dans ce conflit épuisant de vingt-deux jours ? : « On a gardé notre dignité, le droit de continuer à lutter. Mais notre avenir est noir. »
Ses copains approuvent. Jean- Paul Israël annonce pourtant déjà des combats futurs : « C’est dur pour les salariés, mais les repreneurs privés, je leur souhaite du plaisir, car le personnel n’a pas renoncé à combattre. » Bernard Marty, le secrétaire du comité d’entreprise, lâche : « Maintenant, il faut savoir ce qui va se passer en Corse. »
De l’autre côté de la Méditerranée, justement, les grévistes sont tout aussi « amers » et « écoeurés » . Ceux du Syndicat des travailleurs corses (STC) ont mis fin à leur grève. Mais maintenant, au siège de la compagnie maritime, transformé depuis près d’un mois en quartier général, ils montrent leur ressentiment envers les « faux-culs de la CGT » .
Symbole d’une unité syndicale en ruine, une caricature de Jean-Paul Israël a été placardée sur la façade vitrée du « terminal nord » de la compagnie maritime, et barrée d’une inscription « coupable ».
« Ils ont quitté le navire comme des rats », tonne Alain Mosconi. D’ordinaire affable, le leader des marins STC fustige violemment le « vote stalinien de la CGT », qui s’est « mise à genoux devant le gouvernement (...) après avoir promis une détermination sans faille ». Et réaffirme son souhait d’une compagnie maritime régionale.
« DÉGÂTS CATASTROPHIQUES »
« Ils ont beau rendre la CGT responsable, les marins du STC ont eu la même attitude : la reculade. Jamais ils n’auraient pensé que le gouvernement puisse aller aussi loin et menacer d’envoyer 2 500 lettres de licenciements », analyse pourtant un proche du dossier. Selon Blaise Milani, secrétaire général de la CFE-CGC, les deux syndicats vont devoir maintenant « gérer les dégâts catastrophiques sur l’économie locale après quatre semaines de grève qui n’ont pas servi à grand-chose ».
Seul maître à bord pendant le conflit, Alain Mosconi a dû se résoudre à « faire avec » le timide soutien des autres responsables du STC, en particulier dans le sud de l’île, hostiles à sa stratégie de rapprochement avec les partis nationalistes.
Alors que le conflit commençait à devenir impopulaire auprès des socioprofessionnels, touchés de plein fouet par le blocus portuaire, et que la mobilisation montrait des signes d’essoufflement, le leader du STC-Marins et ses proches ont été contraints d’occuper, seuls, tous les fronts ouverts par le conflit : les négociations avec les pouvoirs publics à Marseille, la gestion des difficiles relations avec les autres syndicats et les discussions avec les représentants du monde économique insulaire. Maintenant, il va devoir gérer l’après-grève.
Le STC-Marins a fait savoir qu’il ne participera pas à la manifestation prévue samedi 15 octobre à Ajaccio pour « la défense du service public ». Un rendez-vous où le STC a pourtant convié ses adhérents. Dans la nuit de jeudi à vendredi, la préfecture de Bastia a été l’objet d’un tir de roquette. Sans dégât.
par Antoine Albertini et Michel Samson