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Le mouvement ouvrier et le syndicalisme

mercredi 4 novembre 2009

Robert Kosmman

PDF - 1.5 Mo
Le mouvement ouvrier et le syndicalisme

Le mouvement ouvrier et le syndicalisme

(Résumé historique de 1789 à nos jours)


I. Les corporations et la naissance du syndicalisme (1789-1884)

1. Le premier XIXe siècle (1789-1848)

L’Ancien Régime

La période révolutionnaire

Le Premier Empire

La Restauration et les monarchies

2. Un second XIXe siècle, la révolution industrielle (1848-1884)

La Révolution de 1848, première révolution sociale

Le Second Empire et l’entrée en scène du prolétariat industriel

3. La Commune de Paris et ses conséquences

La Commune de Paris (1871)

La reconnaissance légale du fait syndical

II. Le développement du syndicalisme (1884-1945)

1. La jeunesse du syndicalisme (1884-1914)

La formation de la CGT

La doctrine syndicaliste révolutionnaire et le syndicalisme d’action directe

Les luttes ouvrières

2. D’une guerre à l’autre (1914-1944)

Le mouvement ouvrier face à la guerre

La scission socialiste et la création de la Section française de l’Internationale communiste (SFIC)

Le syndicalisme divisé

La naissance et l’affirmation d’un syndicalisme chrétien

3. Le Front populaire et les tentatives de réunification syndicale

La crise économique et la montée des droites

La renaissance d’un courant unitaire

Le Front populaire

La Guerre mondiale

III. Un syndicalisme davantage reconnu (1945 à nos jours)

1. La Libération, la Guerre froide et les guerres coloniales (1945-1963)

La Libération : espoirs et controverses

L’évolution interne des centrales syndicales

L’instabilité politique et la division syndicale (1948-1958)

Les luttes ouvrières

La guerre d’Algérie (1958-1962)

2. Une période particulièrement combative de la lutte de classe (1963-1979)

Mai 68 et l’après mai

L’après Gaullisme (1969-1973)

1974-1980 : La crise, le libéralisme, les divisions du monde du travail

3. De 1981 à aujourd’hui, l’Histoire récente, à compléter...

Le cadre politique

L’environnement économique et social

Un nouveau système productif

L’environnement syndical et revendicatif

Les conflits sociaux

Conclusion et questions

Une construction lente

L’Histoire ouvrière en débats

En conclusion


I. Les corporations et la naissance du syndicalisme (1789-1884)

1. Le premier XIXe siècle (1789-1848)

L’Ancien Régime

Dans l’ancien droit, le régime du travail repose sur les corporations qui rassemblent de façon obligatoire dans cette même organisation les maîtres et les compagnons. Petit à petit, l’accès à la maîtrise se fermant et les conditions de la vie ouvrière devenant plus pénibles, il y a formation de confréries de compagnons qui, bien qu’interdites, vont s’opposer aux confréries d’artisans. [1]

Pour l’anecdote, on peut citer la première grève ouvrière recensée par les archéologues. Elle date de l’antiquité en Égypte, sous le règne de Ramsès III, parmi les constructeurs des pyramides. Les ouvriers qualifiés, tailleurs de pierre, disposaient d’un statut que n’avaient pas les esclaves. Ils avaient chacun, avec leur famille, la libre disposition d’une maison du village et d’une tombe (pyramidon) ainsi que le droit aux services d’un groupe de femmes-esclaves qui apportait au village l’eau, les aliments, (poissons, légumes, dattes) du combustible (bois et bouse séchée) ainsi que des vases et le linge lavé des habitants. Les ouvriers recevaient, en plus, une fois par mois, une ration suffisante de céréales pour préparer, pour un mois, pour eux et leur famille, du pain et de la bière [2] dont ils revendaient le surplus. En -1169, l’empire de Ramsès III est désorganisé et les ouvriers ne touchent plus leur ration de céréales. Ils se mettent en grève pour obtenir leurs rations. Le scribe menace alors les grévistes de leur intenter un procès devant le conseil du village. Il est souriant de penser que la première grève ouvrière recensée ait été lancée pour obtenir de quoi fabriquer de la bière. (Les archéologues ont trouvé un papyrus et une ostraca racontant précisément cet épisode ancien, exposition au musée du Louvre, 2002, « Les artistes du Pharaon »).

Avec le développement de l’imprimerie après 1455 [3], Lyon est depuis peu la capitale de l’industrie en France avec l’édition de livres et l’introduction du ver à soie qui permet la création d’une industrie de filature et de tissage. On peut ici situer ce qui fût sans doute la première grande grève ouvrière en France, « le Grand Tric », qui fût le fait des ouvriers imprimeurs de Lyon en 1539 et qui perdura plusieurs mois. Les seuls ouvriers-artisans [4] sont ceux de la construction, les potiers, les menuisiers et forgerons [5], les tisserands (laine, chanvre, lin) de village qui travaillent à domicile. C’est la « manufacture dispersée ».

Les débuts de l’industrialisation sont faibles. Une première compagnie d’extraction de la houille est fondée à Anzin, en 1756 qui emploie mille ouvriers en 1789. En 1786 on compte seulement six filatures mécaniques de coton utilisant un millier de « mule-jennys » [6], ce n’est qu’en décembre 1785 que l’on enregistre la première coulée de hauts fourneaux de la fonderie royale du Creusot dont le patron est François Ignace de Wendel.

La période révolutionnaire

Deux principes triomphent avec l’arrivée de la bourgeoisie au pouvoir :

Le libéralisme économique

Le principe de la liberté au travail souhaité par la bourgeoisie commerçante conduit à interdire tout ce qui pourrait gêner le jeu du marché du travail et du commerce (on supprime les douanes intérieures, les corporations).

L’individualisme politique

La loi d’Allarde du 2 Mars 1791 supprime les corporations.

La loi Le Chapelier du 14 juin 1791 interdit les syndicats ou toute forme d’association ouvrière de ce type. Les classes dirigeantes privilégient le contrat individuel reposant sur la volonté libre des deux intéressés, en l’occurrence le patron et l’ouvrier : entre les libertés, elles choisissent la liberté du travail contre la liberté d’association. En fait, le travailleur vend sa force de travail pour survivre et ce qu’il reçoit comme salaire est un salaire de subsistance.

Le Premier Empire

La période napoléonienne va codifier ces nouvelles règles et établir sous la forme de lois la nouvelle domination de la bourgeoisie.

« Toute coalition de la part des ouvriers pour faire cesser en même temps de travailler, interdire le travail dans un atelier, empêcher de s’y rendre et d’y rester... et en général pour suspendre, empêcher, enchérir les travaux, s’il y a eu tentative au commencement d’exécution sera punie d’un emprisonnement d’un mois au moins et de trois mois au plus. » (Code Pénal)

Le livret ouvrier est instauré en 1803 [7]. La seule loi favorable fut celle de la création des prud’hommes à Lyon en 1811. Le monde ouvrier est faible, particulièrement à cette époque où les jeunes hommes sont avalés par les tueries des guerres de conquête. En même temps, Napoléon rétablira en 1802 l’esclavage dans les colonies qui avait été aboli, sous la pression des insurgés de Saint-Domingue, par la Révolution en 1794.

La Restauration et les monarchies

L’environnement économique

Pendant toute cette période l’industrialisation est lente et inégale. La machine à vapeur va lentement se substituer à la machine hydraulique, surtout dans quelques régions (Nord, Seine, Seine-Inférieure, Loire). Le textile est alors le grand secteur industriel. L’industrie textile a commencé à utiliser le coton avec les premiers imprimés, « les indiennes » [8], dès 1759 où Oberkampf crée la première manufacture de toiles imprimées à Jouy-en-Josas. Le développement de la métallurgie et de la sidérurgie est lié à la production des rails nécessaires à la construction des chemins de fer, puis des locomotives et bateaux.

À partir de 1830, début des concentrations ouvrières dans les mines de houille. La révolution industrielle en France, à cette époque, manifeste un retard important par rapport à l’empire anglais. L’industrialisation en France ne sera effective qu’à la fin du dix-neuvième siècle.

Pendant cette période, l’industrie occupe trois fois moins de main d’ouvre que l’agriculture. Encore beaucoup d’artisanat dans les campagnes, des ouvriers artisans dans les villes qui travaillent à domicile (cloutiers), c’est le « sweating system ». C’est pendant la Restauration qu’on rencontrera le mouvement de destruction des machines, le « luddisme » [9], qui sera toutefois beaucoup moins important qu’en Angleterre.

Les ouvrières représentent à cette époque environ un tiers du prolétariat concentré. Leur salaire est la moitié de celui des hommes [10]. La population afflue dans les villes, ce qui exerce une pression à la baisse sur les salaires : hantise du chômage. Indignés par la condition ouvrière des philosophes (Proudhon [11], Marx [12]), des philanthropes (Saint-Simon, Fourier, Owen) et les premiers patrons paternalistes (Godin à Guise, dans l’Aisne) proposent des solutions qui influenceront plus tard le mouvement socialiste. C’est la naissance du « socialisme utopique » et la création des phalanstères.

L’organisation ouvrière

Les ouvriers, peu nombreux, dans des « fabriques », écrasés de travail, sans qualification, pour la plupart analphabètes, sont souvent résignés. Les conflits, les coalitions, les grèves, sont essentiellement le fait des compagnons et des ouvriers travaillant dans les métiers restés de type plus ou moins artisanal. La première revendication concerne le salaire : recherche d’une uniformisation entre les ateliers, revendication du salaire minimum ; revendications sur la diminution de la durée du travail.

Grève et insurrection des canuts de Lyon en 1831 et 1834 pour obtenir un relèvement des « tarifs » (prix obtenus des pièces de tissus).

Déclin des compagnonnages : organisations héritées de l’ancien régime et groupant les compagnons de certains métiers dans des sociétés à demi secrètes qui facilitaient l’apprentissage, s’inquiétaient du placement, jouaient le rôle d’organismes mutualistes et même de sociétés de défense des intérêts des compagnons. Ce sont là les ancêtres du syndicalisme. Ce passage se fait toutefois difficilement, avec des refus, des conflits et des résistances de beaucoup de compagnons à quitter leurs anciennes structures pour créer le syndicalisme nouveau.

Le corporatisme et les rivalités ont empêché la naissance d’un véritable esprit de solidarité. Les violences, à cette époque, étaient extrêmement vives entre sociétés de compagnonnage et métiers à l’intérieur d’une même société, entraînant souvent des batailles rangées meurtrières entre compagnons, à coups de cannes notamment. La cause principale en était la concurrence pour le gain d’un marché au niveau d’une ville.

L’environnement politique

Dans un premier temps, les ouvriers vont être utilisés au service d’une politique qui n’est pas la leur : par leur participation aux « Trois glorieuses » de 1830 ils vont permettre à la bourgeoisie de remplacer Charles X par le « Roi citoyen » Louis-Philippe. Mais en 1848 ils vont imposer la proclamation de la République à un gouvernement provisoire et obtenir le suffrage universel. Entre 1789 et l’établissement définitif de la République après 1870 et la chute du Second Empire, il faudra un siècle et trois révolutions. En France le dix-neuvième siècle est celui de la révolution.

2. Un second XIXe siècle, la révolution industrielle (1848-1884)

La Révolution de 1848, première révolution sociale

Après le renversement de Louis Philippe, un gouvernement provisoire est mis en place. Le 25 février 1848 une délégation d’ouvriers apporte une pétition réclamant le droit au travail et le droit d’association auprès du gouvernement provisoire ; le gouvernement prend immédiatement un décret par lequel :

« il s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail... garantir le travail à tous les citoyens. »

Il reconnaît que :

« les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice de leur travail. »

Face à la défaillance de l’industrie privée et au nombre grandissant de chômeurs, l’État tente de régler le problème du « droit au travail » en préconisant des chantiers publics. Il encouragera les ouvriers à prendre en main, eux-mêmes, l’activité économique en formant des coopératives de production. Sous le nom « d’ateliers nationaux » des chantiers sont ouverts. Leur mise en place est un échec face à l’arrivée massive de travailleurs à la recherche d’un emploi. Mal organisés, peu efficaces, ces ateliers sont perçus par la population comme des ateliers de charité plutôt que des solutions économiques efficaces.

Le 23 juin débute une révolte spontanée qui, jusqu’au 26 juin, opposera dans les rues de Paris les ouvriers à la garde nationale. Environ 10000 ouvriers seront tués ou fusillés, 25000 seront arrêtés et 10000 condamnés à la prison ou à la déportation. Les conséquences de ces « journées de juin 1848 » sont décisives pour l’histoire du mouvement ouvrier et pour la République naissante. Devant la répression les travailleurs se sentent de plus en plus membres d’une même classe et George Sand [13] écrit alors : « Je ne crois plus à l’existence d’une république qui commence à tuer les prolétaires ». Cette brève République (1848-1851) dont une partie des acteurs prendra des chemins moins radicaux [14] compte tout de même des conquêtes sociales comme le suffrage universel qui remplace le suffrage censitaire [15], dans certaines professions l’obtention de la journée de 9 heures ou 10 heures est obtenue et la révolution de 1848 met fin définitivement à l’esclavage dans les colonies françaises.

Le Second Empire et l’entrée en scène du prolétariat industriel

Louis-Napoléon Bonaparte s’est fait élire Président de la République le 10 décembre 1848. Le 2 décembre 1851 il fait arrêter les notables républicains et monarchistes, déclare l’Assemblée dissoute et réprime le soulèvement de la population parisienne. Beaucoup de républicains sont emprisonnés, beaucoup d’autres doivent s’exiler dont le plus célèbre : Victor Hugo.

L’économie : industrialisation et urbanisation

La période du Second Empire est caractérisée économiquement par la liaison étroite entre les grandes affaires et la politique et par le développement rapide du chemin de fer qui va profiter aux secteurs de la sidérurgie et de la construction mécanique lourde : modernisation et concentration (Wendel, Schneider, création du Comité des forges en 1864, qui se transformera en UIMM (Union des Industries et des Métiers de la Mécanique).

La forte accélération de la croissance économique entraînera une légère amélioration du niveau de la consommation ouvrière dans certaines branches ou régions.

Ce sont les années 1850-1880 qui marquent l’arrivée massive de populations immigrées ouvrières, conséquence de la dépression démographique française. Trois grandes vagues vont suivre et enrichir le marché du travail en France : 1880-1914, 1920-1931, et après la seconde guerre mondiale. Belges, Italiens, Polonais, Espagnols, Kabyles sont les premiers non nationaux à se fondre dans la classe ouvrière de France. Ils sont 800000 en 1876, le double en 1931 et représentent 59,3% des travailleurs de l’industrie à cette date. Moins qualifiés, sous payés, concurrençant la main d’ouvre locale, en butte au racisme, ils s’intégreront progressivement pour se fondre dans la population ouvrière et conquérir difficilement les mêmes droits (violence contre les Italiens à Aigues-Morte en 1896). Parallèlement le travail féminin augmente, en 1866 ces salariées sont d’abord des ouvrières du textile, du travail des étoffes et employées dans les manufactures de tabac.

Le mouvement ouvrier : de la répression à la tolérance

Les conflits :

Suite à une grève des typographes parisiens Napoléon III fait voter en 1864 la loi supprimant le délit de coalition : la grève ne peut plus être sanctionnée par les tribunaux ; chacun a individuellement le droit de faire grève, mais la grève rompt le contrat de travail et le patron n’est pas obligé de réembaucher ; cette situation persistera jusqu’en 1950. Mais le syndicat reste interdit. La liberté de coalition ne s’accompagne même pas du droit de réunion. Par ailleurs, la loi crée un nouveau délit : celui d’atteinte à la liberté du travail, qui existe toujours. La suppression du délit de coalition a un effet stimulant qui va se traduire par une multiplication des mouvements de grèves ; des ouvriers se réunissent et désignent des délégations chargées de discuter avec les patrons.

De nouveaux secteurs se mettent en grève : en 1869 les mineurs de la Loire, les ouvrières lyonnaise (première grande grève féminine recensée, celle des « ovalistes » à Lyon en 1869 [16]).

En 1870 les ouvriers du Creusot s’attaquent à Schneider, président de la Chambre des Députés, régent de la Banque de France et propriétaire de la ville. La grande usine du Creusot qui existait depuis 1787 enregistre alors son plein développement [17]. En 1872 grève du bassin minier d’Anzin.

Le développement des organisations ouvrières :

Le 25 mars 1852, Napoléon III supprime la liberté d’association. À partir de 1862, sur le modèle anglais, la revendication va porter sur la création de chambres syndicales jouant à la fois le rôle de mutuelles, de « résistances » et de coopératives de production. À partir de 1866 le gouvernement va tolérer les chambres syndicales.

Par ailleurs, des rencontres entre syndicalistes et leaders ouvriers de différents pays aboutissent à la création à Londres en 1864 de la Ire Internationale (Association internationale des travailleurs). L’AIT (1864-1872) va fournir des cadres et une pensée au mouvement ouvrier français.

3. La Commune de Paris et ses conséquences

La Commune de Paris (1871)

Les échecs enregistrés dans la guerre contre l’Allemagne provoquent des manifestations, en province (Lyon, Marseille) puis à Paris en août et septembre 1870. Ces villes proclament la République et la déchéance de l’Empire. Un gouvernement de défense nationale s’installe à Paris. Pendant que les Prussiens font le siège de Paris un plébiscite renforce la validité de ce gouvernement. Fin janvier 1871 suite à un nouvel échec subi par la Garde nationale lors d’une sortie en masse pour forcer le blocus, les gardes nationaux des quartiers populaires marchent sur l’Hôtel de Ville. Le gouvernement signe l’armistice. L’Assemblée va à Versailles. À Paris, la « Fédération de la Garde nationale » dans laquelle se sont enrôlés des « citoyens soldats » prend de l’importance. Le 18 mars le gouvernement échoue dans sa tentative d’enlever de Montmartre les canons de la Garde nationale ; deux généraux sont exécutés et le gouvernement fuit à Versailles. Le pouvoir est vacant. Le Comité central de la Garde nationale organise des élections auxquelles ne participe que la moitié de la population parisienne, beaucoup de riches ayant fui la capitale.

La « Commune » est constituée. Durant sa courte vie de nombreuses mesures seront édictées : enseignement laïc et gratuit, séparation de l’Église et de l’État, contrôle des élus, confiscation des ateliers abandonnés qui seront remis à des associations ouvrières dépendant des chambres syndicales, limitation de la journée de travail à 10 heures, réduction des écarts de salaires, abolition du travail de nuit, droits de la femme, amélioration des conditions de travail, internationalisme...

Le gouvernement de Versailles, s’appuyant sur la France rurale, rassemble ses troupes pour écraser la révolution des « partageux » : 30000 morts, 45000 prisonniers. Le gouvernement Thiers va poursuivre la répression. Quelques femmes seront à la tête de la Résistance à Paris, Elisabeth Dimitriev (qui représente l’Internationale) et surtout Louise Michel [18]. Quelques rares villes tenteront, sur le modèle parisien, de créer des « communes » éphémères (Lyon, Marseille, Toulouse, Le Creusot, Saint-Etienne). Sur Paris, les déportations et les exécutions liées à la chute de la Commune auront aussi pour conséquence de priver une partie des ateliers de leurs ouvriers qualifiés. La répression « versaillaise » contre les communards va priver pour dix ans le mouvement ouvrier d’une partie de ses dirigeants.

La reconnaissance légale du fait syndical

La condition ouvrière

L’industrialisation se poursuit, entrecoupée de crises économiques provoquant le chômage. Entre 1875 et 1896 une misère très grande envahit le prolétariat de France en raison de la crise économique ; c’est la « Grande dépression ». La condition ouvrière s’aggrave dans les centres industriels ; elle est un peu meilleure sur le plan matériel quand le patron loge l’ouvrier. En contrepartie, il en résulte une dépendance totale (mines, textiles...) : institutions sociales, église, école. C’est, dès le début du siècle, le début du « paternalisme » [19] (Godin, Meunier, Schneider, puis Michelin).

Une loi de 1874 fixe à 12 ans l’entrée dans les ateliers, mais elle ne sera que progressivement appliquée et respectée. Les enfants sont, avec les femmes, l’armée industrielle de réserve.

L’organisation de la classe ouvrière

À partir de 1872 des chambres syndicales se reconstituent à Paris et en province. Mais il ne saurait être question pour ces syndicats, tolérés, de se rassembler, comme avant la Commune, dans l’Association internationale des travailleurs : une loi de mars 1872 frappe de prison l’affiliation à toute Internationale qui a pour but :

« de provoquer à la suspension du travail, à l’abolition du droit de propriété, de la famille, de la religion ou du libre exercice des cultes. »

En 1876 est organisé à Paris un congrès rassemblant 151 organisations représentant des métiers ou des professions : on y met l’accent sur l’association coopérative, on insiste sur l’apprentissage et l’enseignement professionnel, on est réticent sur la grève.

À cet attachement à des conceptions anciennes va s’opposer un nouveau mouvement témoignant d’un renouvellement par la base des organisations ouvrières.

Des « cercles d’études socialistes » se créent ; la doctrine marxiste y est diffusée. À l’occasion du congrès ouvrier de 1879 est créé à Marseille le « Parti ouvrier » (Jules Guesde). Les différentes motions adoptées montrent une prise de conscience nouvelle :

« L’appropriation collective de tous les instruments de travail et force de production doit être poursuivie par tous les moyens possibles. »

« Tout en considérant que la grève n’est qu’un palliatif, mais n’ayant que cette seule arme pour résister aux exigences du capital, nous proposons aux travailleurs de se soutenir mutuellement dans les conflits qui peuvent exister entre le capital et le travail. »

Il n’est plus question des retraites ouvrières, des coopératives, du droit d’association, mais on remet en cause le droit de propriété, l’existence du salariat, et l’on prône le collectivisme. Dans le même temps, la syndicalisation progresse [20].

Les congressistes, pour l’essentiel des délégués des chambres syndicales, décident de se constituer en parti politique. Pour Jules Guesde, le parti doit d’abord s’emparer du pouvoir politique ; le syndicat n’est qu’un moyen d’action au service du parti. De ce parti, vont naître des formations socialistes multiples et concurrentes. Chaque fraction socialiste ayant son idée sur les rapports entre parti et syndicat, toute inféodation du syndicat au parti a été une perte de force pour le mouvement syndical. L’amnistie totale des Communards est proclamée en 1880 et les exilés reviennent ; beaucoup reprennent une activité politique.

Les luttes ouvrières

Les années 1878 à 1882 sont marquées par une poussée gréviste importante, notamment dans le textile et la région du Nord. La plupart de ces coalitions [21] sont inorganisées : elles sont souvent subites et accompagnées de manifestations frisant l’émeute. La grève la plus emblématique de la période est celle des mineurs de Decazeville (Aveyron) en 1886, qui tient 108 jours, voit l’intervention de la troupe et la défenestration de l’ingénieur Watrin.

Le 21 mars 1884 le Parlement vote une loi légalisant les syndicats : en reconnaissant un état de fait on donne statut aux associations existantes. La nouvelle république mal assurée, veut se concilier la classe ouvrière ; elle pense aussi que cette légalisation permettra de mieux encadrer les conflits et les grèves. Les syndicats sont devenus des associations légales ; ils bénéficient d’un régime de liberté pour se constituer et ils peuvent se regrouper en unions de syndicats.


II. Le développement du syndicalisme (1884-1945)

1. La jeunesse du syndicalisme (1884-1914)

La formation de la CGT

Les fédérations de métiers et les fédérations d’industries

Les premiers regroupements n’avaient souvent qu’une vie éphémère ; ils se feront souvent sur la base de fédérations d’industries (qui groupent tous les salariés travaillant dans la même branche d’activité, métaux, bâtiment, textile..).

Les fédérations de métiers regroupent, elles, les salariés syndiqués suivant leur profession (mouleurs de cuivre, mécaniciens, ferblantiers...). La CGT métallurgie a mis 26 ans à s’unifier ; l’automobile n’a rejoint cette unification que 13 ans après, et il faudra 72 ans (en 1973) au moment de la grève Lip pour que l’horlogerie et les métiers d’art rejoignent la fédération métallurgie (FTM).

La fédération des bourses du travail

Des municipalités mettent des locaux à la disposition des divers syndicats de la localité qui ont ainsi le moyen de mettre en place une organisation interprofessionnelle. C’est là où s’élaborera l’idéologie syndicaliste. La première bourse est créée à Paris en 1886. Des militants nouveaux vont être formés dans ces bourses.

Des militants ont l’idée de fédérer ces bourses, dont le nombre augmente rapidement, afin d’en faire un mouvement national. Les anarchistes et les socialistes opposés à Jules Guesde et qui tiennent en main la plupart des bourses veulent, en les fédérant, susciter un mouvement syndical concurrent de la « Fédération nationale des syndicats » sous la tutelle du parti guesdiste. Ces bourses du travail, comme leur nom l’indique avaient pour fonction à l’origine de trouver de l’embauche aux ouvriers des différents métiers. Elles servaient aussi de lieux de formation professionnelle.

Vers l’autonomie syndicale

À l’intérieur de la Fédération des bourses Fernand Pelloutier va engager l’action pour tenter d’enlever au parti de Jules Guesde, le Parti ouvrier français, son annexe syndicale. Il va développer l’idée de grève générale qu’il présente comme la révolution des producteurs opposée au simple changement d’élites politiques envisagée par les guesdistes. En 1892 Aristide Briand et Fernand Pelloutier font adopter à l’unanimité l’idée de grève générale par le congrès de la Fédération nationale des syndicats. La fissure va alors s’élargir entre la Fédération des syndicats et le Parti guesdiste ; le terrain est déblayé pour que naisse un syndicalisme autonome vis-à-vis des partis.

La naissance difficile de la CGT

En 1895 à Limoges les divers groupements syndicaux nés au cours des années précédentes se réunissent en congrès (syndicats, bourses, fédérations, fédérations locales ou régionales, fédérations nationales de métiers ou d’industries). La Confédération générale du travail (CGT) est créée. Au congrès de Montpellier de 1902 l’unité organique se réalise : la Fédération des bourses s’intègre dans l’organisation qui modifie sa constitution ; il y a deux sections : d’une part, l’Union des fédérations (syndicats nationaux et syndicats isolés) d’autre part, l’Union des bourses (des unions locales, départementales, régionales). Tout syndicat doit, dans une période d’un an, adhérer à la fois à une bourse et à une fédération

La doctrine syndicaliste révolutionnaire et le syndicalisme d’action directe

Le syndicalisme seul représentant de la classe ouvrière

La charte d’Amiens (congrès de la CGT à Amiens en 1906) le proclame solennellement :

« En ce qui concerne les organisations, le congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérales n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. »

Cette précaution vise, pour ses auteurs, représentants du mouvement ouvrier, à prendre leurs distances par rapport au gouvernement « socialiste-bourgeois » de Millerand-Waldeck-Rousseau.

L’action directe

« L’action directe signifie que la classe ouvrière, en réaction contre le milieu actuel, n’attend rien des hommes, des puissances et des forces extérieures à elle, mais qu’elle crée ses propres conditions de lutte et puise en soi les moyens d’action. »

L’action directe s’exerce en premier lieu contre le patronat : on n’entend pas véritablement négocier avec le patronat comme on le ferait avec un partenaire qu’on reconnaît ; l’objectif, c’est d’établir une législation corporative, votée librement par les assemblées syndicales et imposée aux employeurs par la grève comme une loi. L’autonomie ouvrière doit se manifester face à un patron qu’on ignore et dont on refuse de reconnaître les droits.

L’action directe s’exerce également contre l’État ; il s’agit de faire une pression extérieure sur l’État par un ensemble de manifestations susceptibles de susciter un mouvement d’opinion qui oblige l’État à prendre en compte le problème.

Pour imposer sa force, la classe ouvrière dispose de plusieurs moyens : la grève, le boycott (ne pas travailler, ou ne pas se fournir chez tel patron ou tel commerçant), le label syndical (on recommande de travailler ou d’acheter chez tel bon patron), le sabotage, le ralentissement volontaire de la production, la malfaçon, le gaspillage du produit, voire l’attaque directe contre l’instrument de production.

Ainsi à l’occasion du mot d’ordre de la journée de 8 heures pour le 1er mai 1906, la CGT préconise aux travailleurs de limiter eux-mêmes leur journée de travail à 8 heures : on décide soi-même.

L’action directe est déclarée auto éducative, elle permet à chaque individu d’affirmer son autonomie et celle de sa classe.

Cette prise de conscience des travailleurs doit se faire tant par l’action directe que par la réflexion et l’analyse, l’une enrichissant l’autre, et réciproquement (la CGT assurera la formation théorique de ses adhérents et de ses militants par des cours, des bibliothèques...). La CGT, marquée par les idées anarchistes, affirme le droit du producteur sur son produit, rejette tout pouvoir et annonce une société future libérée de toute exploitation, de toute oppression, de toute aliénation.

Pour une république des travailleurs

La CGT veut rester indépendante des partis politiques ; ce refus des partis n’a rien à voir avec l’apolitisme ; le syndicalisme ne peut être apolitique quand il remet en cause la société toute entière. À la République bourgeoise, le syndicalisme d’action directe oppose la République des travailleurs :

« L’amélioration immédiate de la condition des salariés n’est qu’un côté de l’ouvre du syndicalisme : il prépare l’émancipation intégrale avec, comme moyen d’action, la grève générale, et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale. »

« Suffrage universel, démocratie, sont toutes choses que la société capitaliste a apportées en elle, d’où leurs imperfections et leurs tares... seul le refus du travail est du domaine prolétarien ; seule la grève fait surgir quotidiennement l’antagonisme patronal et ouvrier ; seule la grève générale fera surgir la libération définitive, car elle sera pour le salarié le refus de produire pour le parasite et le point de départ d’un mode de production ayant pour seul bénéficiaire le producteur. » (Griffuelhes)

« Nous voulons habituer le prolétariat à se passer de gouvernants. Nous devons donc conseiller, instruire, mais non diriger. » (Pelloutier)

Selon la CGT, il s’agit donc d’aboutir à une véritable contre-société basée sur le fédéralisme des producteurs où les hommes de métier gèrent leurs propres affaires, sans déléguer à aucune personnalité, à aucune organisation, un pouvoir politique, une autorité qui dégénère tôt ou tard en tyrannie. Il ne faut pas habituer les individus à compter sur l’organisation plutôt que sur eux-mêmes.

Les luttes ouvrières

La résonance du mot d’ordre international du 1er mai (les 8 heures) [22] est assez forte ; chaque année une vague de grèves vient s’y greffer, accompagnée d’une répression patronale et policière très forte : fusillade et morts le 1er mai 1891 à Fourmies. Les conséquences politiques, au-delà de la tuerie, auront comme retombée l’élection du socialiste Lafargue à Roubaix. Les mineurs sont à la pointe de la contestation, (grève des mineurs de Carmaux dans le Tarn (1892) soutenue par Jean Jaurès). Succédant aux mineurs, ce sont les ouvriers du bâtiment (terrassiers) qui sont à la pointe des grèves et revendications, notamment les milliers d’ouvriers provinciaux qui creusent le sous sol sur le chantier du métro parisien autour de 1900.

En 1902, en 1906, de nouvelles régions connaissent la grève : Bretagne, Lorraine. Partout la répression est forte : après les 1100 morts de la catastrophe de Courrières (1906), les 40000 mineurs grévistes ont en face d’eux 20000 hommes de troupe. Parallèlement au mouvement ouvrier, un fort mouvement paysan se manifeste contre l’effondrement du marché du vin. Après le drame de la crise du phylloxera (1905) et la chute du cours du vin en 1907, les vignerons se rassemblent à Béziers et affrontent la troupe (mutinerie du 17e de ligne qui refuse de tirer sur les paysans et met crosse en l’air).

Le 1er mai 1906 la grève pour les huit heures permettra d’obtenir le vote de la loi du 13 juillet 1906 qui rend obligatoire le repos hebdomadaire.

En 1908, grèves dans le bâtiment, grève aux sablières de Draveil, manifestations de Villeneuve-Saint-Georges, police envoyée par Clemenceau qui fait arrêter les leaders de la CGT. À noter que, durant cette période, avec l’accession des « possibilistes » à la direction de la mairie de Paris et l’unification des socialistes, vont apparaître les premiers statuts protecteurs pour certaines catégories de travailleurs (personnel municipal parisien en 1895, travailleurs du métropolitain en 1898, gaziers et électriciens en 1906 et cheminots en 1909). La syndicalisation se développe on passe de 250000 syndiqués à 1 million en 30 ans.

C’est à cette époque que le patronat implante les premiers éléments du taylorisme chez Berliet et Renault. Louis Renault rencontre F. W. Taylor, instaure le chronométrage chez les tourneurs à Billancourt. Il s’ensuit la première grande grève des métallos en 1913 animée par les ouvriers professionnels.

La place des ouvrières

En 1896 les femmes gardent leur primauté dans le secteur textile (51%) et leur hégémonie dans le vêtement (87%). Textile et vêtement accaparent 73% des travailleuses, la confection se pratiquant encore largement à domicile. Le succès de la machine à coudre au tournant du siècle s’appuie sur une armée industrielle de réserve féminine prête à travailler à domicile [23]. Les femmes travaillent aussi dans l’alimentaire (sucreries parisiennes, conserveries bretonnes) et dans l’imprimerie ou leur intrusion provoque des remous, lorsque, non contentes d’être brocheuses ou receveuses de feuilles, elles prétendent devenir typotes [24]. Les rares grèves féminines (Saint-Chamond, Lyon) revendiquent pour le salaire et l’abaissement de la journée de travail. Les grèves féminines sont plus nombreuses dans les manufactures de tabac où un statut d’État (monopole) leur permet une activité syndicale et des avantages reconnus.

L’environnement politique

L’essor du capitalisme qui accroît ses profits au cours de la période, autofinance son développement et exporte largement ses capitaux (colonialisme), éloigne la perspective d’un effondrement catastrophique du système qui permettrait l’avènement du socialisme. Cela va amener les groupes socialistes à modifier leurs stratégies. Une grande division s’installe entre groupes rivaux, anciens communards souvent (possibilistes [25], allemanistes [26], blanquistes [27], guesdistes [28], anarchistes [29]). La propagande nationaliste et chauvine dominante de l’époque pénètre également la classe ouvrière. Entre 1887 et 1889, une partie du mouvement ouvrier est influencée par les idées populistes et chauvines du général Boulanger. Ce « traîne-sabre », putschiste, partisan de la guerre immédiate avec l’Allemagne, rassemble de nombreux électeurs avec la Ligue des patriotes. Il devra finalement s’exiler. Au sein du mouvement ouvrier, une partie importante des blanquistes et le polémiste Rochefort, ancien communard, déporté et évadé de Nouvelle-Calédonie, font partie de ses soutiens. Après les attentats anarchistes des années 1880 à 1893, sont promulguées, en 1896, les « lois scélérates » qui portent gravement atteinte à la liberté de la presse et d’association. Puis l’affaire Dreyfus [30] en 1898 enregistre à nouveau une poussée nationaliste et divise le mouvement ouvrier. Au niveau international, en 1889 est créée la deuxième Internationale sous l’impulsion de Frédéric Engels, ami et collaborateur de Karl Marx. À sa mort elle sera largement dominée par la social-démocratie allemande réformiste (Bernstein, Kautsky). En 1905 naît la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) par rassemblement des différents partis socialistes (Jean Jaurès, Jules Guesde...) : 44000 adhérents en 1906, 90000 adhérents en 1914.

En 1912 la CGT atteint son apogée avec des effectifs de 320000 adhérents.

2. D’une guerre à l’autre (1914-1944)

Le mouvement ouvrier face à la guerre

Tous les syndicats révolutionnaires sont d’accord sur un « antimilitarisme corporatif » : l’armée est le suprême rempart de la bourgeoisie, le « chien de garde » du capitalisme, le gouvernement l’utilise constamment dans les grèves ; il convient donc d’empêcher que l’atmosphère de la caserne ne détourne les jeunes du syndicalisme ; il convient d’inciter aussi les jeunes soldats du contingent à ne pas faire usage de leurs armes contre les ouvriers grévistes.

« L’armée tend de plus en plus à remplacer à l’usine, aux champs, à l’atelier, le travailleur en grève, quand elle n’a pas pour rôle de le fusiller. »

Au congrès de Marseille en 1908, et alors que ses principaux dirigeants sont en prison, la CGT préconise la grève générale contre la guerre :

« Le congrès déclare qu’il faut, du point de vue international, faire l’instruction des travailleurs, afin qu’en cas de guerre entre puissances, les travailleurs répondent à la déclaration de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire. »

La solidarité nationale ne peut exister ; il ne peut y avoir de solidarité entre l’exploiteur et l’exploité.

Le 27 juillet 1914, à l’appel de la CGT, une foule importante manifeste à Paris son opposition à la guerre qui vient ; il y a des manifestations identiques en province (Lyon, Limoges...).

Au congrès extraordinaire du Parti socialiste en juillet 1914, Jean Jaurès préconise « la grève générale ouvrière simultanément et internationalement organisée » pour prévenir et empêcher la guerre ; il s’efforce de faire adopter cette position par les autres partis socialistes européens. Mais il est assassiné le 31 juillet.

Le 1er août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie, le 3 août à la France.

Le 4 août, Léon Jouhaux déclare :

« Acculés à la lutte, nous nous levons pour repousser l’envahisseur, pour sauvegarder le patrimoine de civilisation et d’idéologie généreuse que nous a légué l’histoire. »

En effet, à la quasi unanimité, l’opinion publique ouvrière, influencée par la propagande nationaliste du gouvernement, a admis la thèse officielle selon laquelle la guerre, du côté français, était une guerre juste ; « l’union sacrée » est admise et le fossé social et idéologique, qui séparait la classe ouvrière du reste de la nation est, d’un coup, comblé.

Les militants ouvriers de la CGT, dans leur majorité, se rallient à la guerre ; seuls quelques minoritaires regroupés autour de Merrheim et du journal de Monatte « La vie ouvrière » manifestent publiquement leur désaccord [31].

Par ailleurs, un courant pacifiste se développe, renforcé par les échecs militaires de l’été 1916. En 1917, des compagnies se mutinent. L’économie nationale, totalement réorganisée pour répondre à la guerre, fait largement appel à la main-d’ouvre féminine ; la revendication « à travail égal, salaire égal » apparaît. Les « munitionnettes » remplacent décolleteurs, tourneurs et ajusteurs dans les usines de guerre. Elles font grève pour les salaires en 1917. Toutes seront renvoyées à leur foyer dès la fin de la guerre.

La scission socialiste et la création de la Section française de l’Internationale communiste (SFIC)

À l’aube de 1919, après que les gouvernements alliés aient remporté une victoire chèrement acquise, le prolétariat d’Europe tente d’entraîner une révolution mondiale, mais les tentatives en Allemagne et en Hongrie notamment sont écrasées par les pouvoirs en place.

En 1919, à l’initiative des bolcheviks russes au pouvoir depuis 1917, et en raison de la « faillite de la deuxième Internationale » se constitue le « Komintern », la troisième Internationale. En France, l’enthousiasme est grand pour la Révolution russe ; l’image qui est donnée d’une République des conseils des travailleurs annonce le dépérissement de l’État attendu de tous les syndicats révolutionnaires.

En 1919 et 1920, un courant se constitue au sein du Parti socialiste pour adhérer à la IIIe Internationale ; les discussions au congrès de Tours de décembre 1920 portent sur les conditions d’adhésion. Le Parti socialiste éclate : les majoritaires constituent la SFIC qui deviendra le Parti communiste français [32], les minoritaires continuent la SFIO qui deviendra le Parti socialiste et continuera la IIe Internationale socialiste.

Le syndicalisme divisé

Pendant la guerre, l’action du ministre socialiste de l’armement Albert Thomas a montré à certains qu’il est possible d’agir sur l’économie.

Ce courant « réformiste » souhaite développer la présence des syndicats dans les organismes officiels ; le gouvernement répondra partiellement à cette demande par la loi du 25 mars 1919 sur les « conventions collectives » [33].

« Il faut renoncer à la politique du poing tendu pour adopter une politique de présence dans les affaires de la nation... Nous voulons être partout où se discutent les intérêts ouvriers. » (Léon Jouhaux en 1918)

Parallèlement, des nationalisations sont demandées. En avril 1919, prévenant le « chômage » du 1er mai, le gouvernement vote la « loi des 8 heures » (48 heures par semaine).

Une forte minorité critique ce « programme minimum » et propose, comme programme, de :

« défendre les révolutions ouvrières et de faire autour d’elles toute la propagande nécessaire pour faire pénétrer dans les masses de ce pays l’idée bien déterminée qu’elles ont la possibilité de faire également leur révolution. »

Ces minoritaires constituent au sein de la CGT le Conseil des syndicats révolutionnaires (CSR) ; contrôlant la fédération des cheminots, ils entraînent la CGT dans une grève générale en mai 1920 ; l’échec de cette grève entraîna notamment une répression sévère (18000 cheminots révoqués, soit 5% du personnel). Les années 1919 et 1920 sont des moments importants de grèves. Les femmes s’en mêlent, la grève des sardinières de Douarnenez en 1924 est restée dans les mémoires.

Les minoritaires se réunissent en congrès en décembre 1920 où est constituée la CGT unitaire (CGTU) qui adhère également à la nouvelle Internationale syndicale, l’ISR [34]. Ces organisations syndicales nationales et internationales deviennent les relais dans le mouvement ouvrier des partis politiques correspondants (SFIC et Internationale communiste). C’est l’idée, mise en pratique, de la « courroie de transmission », de la subordination du syndicat au parti.

La CGT avoisine les 500000 adhérents, elle est en perte de vitesse dans le secteur industriel, mais se développe dans le secteur tertiaire (PTT, cheminots, enseignants qui adhèrent en 1925, fonctionnaires qui adhèrent en 1928).

La CGTU stigmatise la politique de collaboration de classe ou de trahison de la CGT. Alors que la CGT considère la loi sur les Assurances sociales (1928/1930) comme « un tremplin vers des améliorations nouvelles », la CGTU parle de « loi fasciste » et de « collaboration avec l’État bourgeois ». La « rationalisation industrielle [35] » n’est pas condamnée par la CGT qui demande qu’un contrôle syndical puisse s’exercer en ce qui concerne son application ; pour la CGTU on peut dire, certes grossièrement, que la rationalisation en régime capitaliste est mauvaise mais, accentuant les contradictions, elle rapproche l’heure de la révolution, et on ne peut donc la condamner.

La division syndicale va marquer une transformation profonde du syndicalisme ouvrier français ; de part et d’autre on va accorder une place importante à l’État, soit pour le conquérir par la révolution, soit pour coexister avec lui. De part et d’autre on admet donc que le syndicalisme n’est plus le mouvement total qui suffit aux salariés. Pour les syndicalistes communistes, il doit être lié au parti dans l’entreprise pour entraîner la révolution. Pour les syndicalistes qui prônent la réforme il faut se servir du syndicat pour jouer de son influence auprès du Parlement. « L’autonomie des producteurs » est ainsi sacrifiée.

La naissance et l’affirmation d’un syndicalisme chrétien

Les origines du mouvement

Des débuts difficiles :

À partir de juillet 1830, autour du journal « L’avenir » deux prêtres, Lamenais et Lacordaire, et un laïc, Montalembert, veulent réconcilier l’Église et le peuple. Ils revendiquent la liberté de l’Église par rapport aux pouvoirs (séparation de l’Église et de l’État), mais aussi la liberté de conscience, de la presse, d’enseignement et d’association. Cette initiative est condamnée par le Pape.

En 1850, l’Église se range derrière l’ordre et Napoléon III ; en 1873 l’archevêque de Paris invite les français à verser leur obole pour édifier la basilique du Sacré-Cour de Montmartre, là où les communards se sont battus. Aussi le syndicalisme s’est-il développé dans les milieux de la libre-pensée, du socialisme et de l’anarchisme marqués d’anticléricalisme.

La naissance du syndicalisme chrétien

Au début de la IIIe République, La Tour du Pin et Albert de Mun souhaitent la constitution de syndicats mixtes réunissant, comme les anciennes corporations, ouvriers et patrons.

Des cercles d’ouvriers influencés par le mouvement de « démocratie chrétienne » se constituent. Dans le Nord se fonde en 1893 une Union syndicale textile, puis une Union syndicale métallurgique qui vont végéter jusqu’en 1914. Ce mouvement est favorisé par la publication en 1891 de l’encyclique « Rerum Novarum » du pape Léon XIII, sur la condition des ouvriers. Ce texte, assez timide, va tout de même favoriser l’émergence du catholicisme social. Marc Sangnier, fondateur du mouvement du « Sillon », va tenter de lier la religion catholique à la République, mais le nouveau pape Pie X casse ce mouvement en 1910.

D’autres syndicats chrétiens se constituent, à Lyon, à Saint-Etienne, souvent mixtes au départ, puis ne regroupant que les salariés.

En 1887 est fondé à Paris le Syndicat des employés de commerce et d’industrie. En novembre 1919 les syndicats chrétiens constitués se regroupent au sein d’une Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC).

La CFTC recherche la collaboration des partenaires sociaux. Elle constate comme un fait qu’elle déplore la lutte des classes, qui n’est pas inhérente au système économique, mais provient d’un manque de moralité et peut être supprimée en renforçant le partenaire le plus faible et en diffusant les principes moraux du christianisme.

Les syndicats jaunes

Ces catholiques ont des difficultés pour se faire reconnaître comme syndicats par le monde catholique qui ne reconnaît que les syndicats mixtes et qui va plutôt favoriser les syndicats « jaunes » [36], lesquels se développent et auront même pendant quelques années un journal, une Fédération nationale des jaunes.

3. Le Front populaire et les tentatives de réunification syndicale

La crise économique et la montée des droites

En 1931 la France subit la crise économique partie des USA en 1929 : récession de la production, faillites ; l’État doit intervenir pour renflouer certaines grandes sociétés et des banques.

Parallèlement, il y a une brutale montée du chômage qui s’accompagne d’une baisse des salaires. La marche des chômeurs partis de Lille en novembre 1933 jusqu’à Saint-Denis popularise le mouvement qui est accueilli par 10000 sans travail de la Région parisienne. Cette même année le conflit Citroën pour les salaires mobilise dans le nord parisien les métallos encadrés par la CGTU [37]. En même temps, comme au temps de la « Grande dépression » des années 1880-1890, l’immigration devient le bouc émissaire de la crise. La loi du 10 août 1932 de « protection de la main d’ouvre nationale » organise l’expulsion de 500000 travailleurs étrangers (la plupart polonais) par trains entiers, ces derniers devant même payer leur billet jusqu’à la frontière !

La renaissance d’un courant unitaire

Son aspect politique

Dans ce cadre économique se développe une extrême-droite nationaliste, antiparlementaire et antisémite (les « ligues » : Croix de feu, Camelots du roi, Jeunesses patriotes).

Le 6 février 1934, une violente manifestation de l’extrême-droite se déroule à Paris. Le lendemain, la CGT décide d’une grève générale de 24 heures. La CGTU emboîte le pas à la CGT, cependant que le PCF décide de se joindre au défilé socialiste à Paris. Le syndicalisme apparaît à cette occasion comme le moyen de la défense républicaine.

En juin 1934, socialistes et communistes engagent des négociations qui vont conduire à la signature d’un « pacte d’unité ».

Ce texte va s’élargir ; en octobre 1934 Thorez [38] déclare :

« Nous jetons l’idée d’un vaste rassemblement populaire pour le pain, pour la liberté et pour la paix. À tout prix pour battre le fascisme, constituons un large Front populaire. »

Les radicaux (de gauche) sont invités à s’y joindre et les communistes vont se présenter comme les défenseurs du sentiment national. Les radicaux vont se rallier en octobre 1935.

Un programme commun parlant de défense de la liberté, de la paix et de revendications immédiates est rendu public le 10 janvier 1936.

Son aspect syndical

L’évolution de la CGTU est parallèle à celle du PCF et les « unitaires » vont chercher l’unité à tous les niveaux.

En septembre 1935 les deux centrales décident de se réunifier. Dans tous les syndicats vont se tenir des assemblées de fusion, cependant qu’au niveau des unions départementales et des fédérations se réunissent des congrès d’unité. Le congrès d’unité se tient à Toulouse du 2 au 5 mars 1936.

Le Front populaire

L’enthousiasme et les premières victoires

Les résultats des élections législatives du 3 mai 1936 sont favorables à la gauche.

Un gouvernement socialiste et radical présidé par Léon Blum est mis en place. Le Parti communiste refuse d’y participer, mais lui apporte son soutien et « celui des masses ».

Dès le 11 mai éclate au Havre une grève de protestation contre les licenciements chez Bréguet ; les 600 ouvriers occupent l’usine et obtiennent satisfaction. À partir du 21 mai le mouvement se développe. De nombreuses corporations entrent en scène : automobile, chimie, alimentation, textile, ameublement, transports. Partout les grèves rencontrent la sympathie active de la population et des municipalités de Front populaire.

La prise effective du pouvoir par Léon Blum le 4 juin, et l’annonce du vote rapide de lois sociales ne calment pas les grévistes, entre le 4 et 7 juin la province entre en action ; même les « prolétaires en faux-cols » (grands magasins, salles de spectacles, etc.) occupent leurs lieux de travail. Ces grèves sont le fait essentiellement du secteur privé et surtout de la métallurgie. Les statuts ouvriers sont très éloignés de ceux des fonctionnaires qui disposent déjà à cette époque de plusieurs semaines de congés payés. Aucun fonctionnaire, ni postier, ni cheminot, ni agent des bus ou du métro (à Paris) ne sera en grève en 1936.

Contacté par le patronat affolé, Léon Blum convoque le 7 juin les représentants du patronat et de la CGT et l’on aboutit dans la nuit à la signature des « accords de Matignon ». Ils prévoient la conclusion immédiate de contrats collectifs, la liberté d’adhérer au syndicat de son choix, une augmentation des salaires en moyenne de 12%, aucune sanction pour fait de grève. Ne figurent dans l’accord ni les « 40 heures », ni les 15 jours de congés payés, qui feront l’objet de lois votées rapidement. Les délégués d’ateliers, qui avaient vu le jour lors de la grève du Creusot en 1899, non généralisés, puis relancés lors des grèves de 1917 (Renault) et obtenus auprès du ministre du travail A. Thomas dans 347 entreprises, avaient disparus pour l’essentiel. Les accords Matignon reprennent et généralisent cette conquête, et des délégués ouvriers sont élus ou désignés dans les établissements de plus de 10 salariés.

Le lendemain même de l’accord, Jouhaux, secrétaire général de la CGT, invite les travailleurs à la reprise ; mais celle-ci sera lente ; tout au contraire, le mouvement de grève s’élargit même en province. Le gouvernement vote de nouvelles lois favorables à la classe ouvrière (semaine de 40 heures, congés payés, conventions collectives), cependant qu’il fait venir des troupes vers la région parisienne et le Nord.

Le 11 juin Thorez souligne :

« qu’il faut savoir terminer le mouvement. [...] Il n’est pas question de prendre le pouvoir actuellement. Notre but reste le pouvoir des soviets, mais ce n’est pas pour ce soir, ni pour demain matin, car toutes les conditions ne sont pas réunies, et notamment, nous n’avons pas encore derrière nous, avec nous, décidée comme nous jusqu’au bout, toute la population des campagnes. »

À partir du 12, le reflux se produit, plus ou moins rapidement.

La nouveauté des grèves de 1936, c’est surtout la généralisation des occupations, moyen de pression supplémentaire sur le patronat, moyen pour les travailleurs d’éviter l’embauche de « jaunes » et aussi d’être plus actifs dans la grève. C’est aussi, et c’est ce qui reste dans la mémoire collective l’extension des congés payés. Il faut toutefois relativiser à la fois la bonne humeur de ces grèves d’une part et le nombre de voyageurs qui partent en vacances pour la première fois d’autre part.

Si les flonflons, l’accordéon, les bals sont largement attestés au milieu des grèves, les débuts de ces dernières ont été largement violents. Chez Renault l’occupation a lieu en fermant les portes de l’extérieur, enfermant ainsi tous les salariés grévistes et non grévistes pour occuper l’usine ! Par ailleurs, tous les ouvriers ne partent pas en vacances comme l’imagerie, jusqu’à nos jours, l’a présenté. On a compté environ 4 millions de grévistes en 1936, le décompte des billets vendus par les compagnies ferroviaires n’est que de 500000 billets achetés : tous les ouvriers de France ne partent pas en vacances. Par contre l’extension de la syndicalisation est attestée, la CGT passe de 1 à 5 millions en quelques mois.

Le reflux

Rapidement le gouvernement de Front populaire est confronté à de dures difficultés : la guerre civile espagnole, la dévaluation, la fuite des capitaux.

Léon Blum réclame une « pause socialiste » aux ouvriers pendant qu’il cherche à rassurer les classes moyennes ; après la chute de son gouvernement, en juin 1937, le Front populaire se maintient difficilement. En août 1938, le nouveau président du conseil Daladier décide « d’assouplir la semaine de 40 heures », remettant en cause l’une des conquêtes fondamentales de 1936, profitant de la crainte née de la situation internationale (accord de Munich) et des menaces de guerre venant de Hitler et de l’Allemagne nazie. Le gouvernement décrète l’annulation des dispositions des conventions interdisant le travail aux pièces, la suppression des majorations pour heures supplémentaires... L’ordre de grève générale lancé par la CGT pour le 30 novembre 1938 est diversement suivi, le gouvernement ayant réquisitionné les cheminots et les agents des services publics. Profitant de l’échec du mouvement, le gouvernement et le patronat règlent leurs comptes : 500 peines de prison pour des militants, 800000 licenciements temporaires ou définitifs.

Au sein de la CGT réunifiée, des tensions se développent : une tendance « de droite » (Belin) repousse l’idée d’une coalition antifasciste et plaide pour que la CGT fasse pression sur le gouvernement dans le sens d’une entente entre la France et l’Allemagne.

Suite au pacte germano-soviétique du 23 août 1939, et à l’entrée des troupes russes en Pologne le 17 septembre le bureau confédéral de la CGT prononce l’exclusion des communistes. Le 26 septembre 1939 le parti communiste est dissous et interdit sur tout le territoire français.

Des acquis de 1936 ont donc été remis en cause ou annulés (augmentation des prix, négociations et signatures de conventions collectives, abandon de la semaine de 40 heures) ; mais il reste surtout une nouvelle implantation syndicale, quelques institutions de concertation, des délégués ouvriers, les congés payés.

Le mouvement syndical ressort divisé après avoir connu un fort développement la CGT a 4 millions d’adhérents au début de 1937, la CFTC 500000.

Par sa participation fréquente aux grèves, la CFTC a pu se faire admettre de la CGT ; la JOC (Jeunesse ouvrière catholique), fondée en 1927, amène à la CFTC de nouveaux militants qu’elle retrouve dans les entreprises ; une partie de son recrutement se fait maintenant sur des couches étrangères au catholicisme.

La Guerre mondiale

Le syndicalisme face au régime de Vichy

Après plusieurs mois de « drôle de guerre » sur le front entre la France et l’Allemagne depuis le 3 septembre 1939, l’attaque allemande va modifier les données. Très rapidement la moitié du territoire est occupée et un gouvernement dirigé par le maréchal Pétain, avec l’ensemble des droites, s’installe à Vichy. Très vite la classe ouvrière est mise sous tutelle et « l’État Français » va s’attacher à casser les acquis du Front populaire et à installer en place un système de collaboration de classes.

La loi du 16 août 1940 supprime les confédérations ouvrières CGT et CFTC, ainsi que la confédération patronale (CGPF), qui sont dissoutes. Ceci étant, la CGPF se réinstallera dès le lendemain dans les mêmes locaux, avec la même activité et le même personnel, mais... sous un autre nom ! Les syndicalistes seront eux pourchassés, emprisonnés et déportés pour certains d’entre eux.

Au plan syndical, des militants des organisations dissoutes maintiendront une certaine action syndicale clandestine.

Une aile droite de la CGT avec Belin, ministre de Vichy, collabore avec le nouveau régime, mais la plupart des militants sont dans l’attente.

Le 4 octobre 1941 le gouvernement promulgue la charte du travail qui entend rompre avec l’esprit de lutte de classes au profit du corporatisme et de l’entente entre les classes. Sont interdits grèves et lock-out. De nouveaux syndicats sont institués, obligatoires, uniques, et spécialisés ; simples organismes d’études et de recherches, ils ont pour rôle d’assurer l’exécution des décisions corporatives prises ailleurs.

De nombreux militants cégétistes et chrétiens vont participer aux mouvements de résistance dans la zone Nord comme en zone Sud.

L’attaque allemande contre l’URSS le 22 juin 1941 va faciliter le comportement des communistes dans la résistance.

Des actions se développent pour s’opposer au Service du travail obligatoire (STO).

Le 17 avril 1943 sont signés les accords du Perreux qui réunifient dans la clandestinité la CGT divisée.

La CGT et la CFTC participent au Conseil national de la Résistance dont le programme comporte de nombreuses mesures sociales.

En août 1944 la CGT et la CFTC lancent l’ordre de grève générale insurrectionnelle. Dès le 27 juillet 1944, une ordonnance du gouvernement d’Alger avait rétabli la liberté syndicale et annulé les décrets de 1940.


III. Un syndicalisme davantage reconnu (1945 à nos jours)

1. La Libération, la Guerre froide et les guerres coloniales (1945-1963)

La Libération : espoirs et controverses

La CFTC propose à la CGT de renforcer l’unité d’action des deux organisations ; la CGT propose une fusion avec une direction centrale commune, sur une base proportionnelle aux effectifs déclarés (5,5 millions pour la CGT et 750000 pour la CFTC). L’union ne se fait pas, pas plus qu’au plan international où la CGT rejoint la Fédération syndicale mondiale (FSM) et la CFTC la Confédération internationale des syndicats chrétiens (CISC).

Le gouvernement tripartite met en place la Sécurité sociale : assurance-maladie, invalidité, vieillesse, accidents du travail, allocations familiales. C’est l’application du plan social du Conseil national de la Résistance.

Les Comités d’entreprises sont mis en place, mais leur rôle reste ambigu ; la même année les services de médecine du travail deviennent obligatoires, et le décret du 1er août 1947 institue les Comités d’hygiène et de sécurité (CHS). Le statut actuel des Délégués du personnel est définitivement établi. Le statut des fonctionnaires initié par Vichy est élargi et devient une réelle protection pour les agents de l’État. Le droit de vote est accordé aux femmes. Le SMIG est établi en janvier 1950. C’est également à cette époque qu’est mise en place la loi sur la représentativité syndicale (réactualisée en 1996 par la loi Perben), qui reconnaît exclusivement, à l’époque, quatre centrales syndicales (CGT, CFTC, FO et CGC) et qui fixe, entre autres, comme critère « l’attitude patriotique pendant la seconde guerre mondiale ».

L’évolution interne des centrales syndicales

À la CFTC : le début d’une évolution

Au Congrès de 1947, la CFTC abandonne dans ses statuts toute référence aux encycliques papales, pour seulement déclarer que :

« La Confédération se réclame et s’inspire dans son action des principes de la morale sociale chrétienne. »

La CGT majoritairement communiste

Dès 1945, au sein de la CGT réunifiée en 1943 les anciens « unitaires » (CGTU) ont fait admettre un second secrétaire général, Benoît Frachon, à côté de Jouhaux. Les « unitaires » sont à la tête de 21 fédérations (sur 30) et de 66 unions départementales (sur un total de 93). L’attitude « productiviste » de la centrale va provoquer des remous à la base, parmi les anarchistes et les trotskistes et plus largement parmi les salarié-e-s victimes du rationnement de l’après guerre. C’est l’époque de « la bataille de la production ».

La CGT a développé cette attitude à son congrès de 1946 :

« Confiante dans l’avenir et convaincue que cet avenir portera en lui la réalisation des aspirations morales et matérielles des travailleurs, la CGT les appelle à soutenir un effort de travail nécessaire pour atteindre une production maximum... Un salaire plus élevé doit être atteint comme fruit de ces efforts et de ce travail... Au fur et à mesure que, par son effort, la classe ouvrière améliorera la situation économique et financière du pays, le problème des salaires devra être examiné et résolu. »

Cette attitude est en accord avec celle du PCF qui participe alors au gouvernement :

« Nous sommes pour la révolution demain. En attendant, aujourd’hui, nous voulons que le régime capitaliste fonctionne selon ses propres lois auxquelles il ne faut pas porter atteinte. Nous n’allons pas aider le régime capitaliste à s’amender. » (Thorez en 1945)

« Produire est la forme la plus élevée du devoir de classe, du devoir républicain et patriotique. » (Thorez en 1946 au congrès des mineurs)

Cela conduit à la condamnation des grèves :« la grève est l’arme des trusts ! » déclare un leader de la CGT.

Des conflits et scissions dans la CGT

Au début de 1946 des grèves éclatent dans les imprimeries de presse ; les grévistes vont désavouer les dirigeants du syndicat du livre CGT.

En mai 1946, les militants syndicalistes-révolutionnaires reprochent à la CGT d’être l’instrument d’un parti et l’organe d’un État et d’étouffer les revendications des travailleurs ; ils quittent la CGT et fondent la CNT (Confédération nationale du travail).

En août 1946 des militants de la droite de la CGT entraînent les PTT [39] dans la grève, malgré les réticences de l’appareil syndical. Chez les cheminots, aux PTT, au métro, des minoritaires partent de la CGT et fondent des syndicats « provisoirement autonomes » qui conduiront à la scission FO. Le 19 décembre 1948, ces groupes créent FO en décidant de quitter la CGT : des militants à la base refusent de continuer à se battre aux côtés des militants communistes de la CGT.

Par ailleurs, la situation des travailleurs se détériore fortement (hausse des prix, ravitaillement difficile).

En avril 1947, malgré la forte opposition des militants communistes de la CGT, un comité de grève (trotskistes, militants de la CNT, de la CFTC) se constitue chez Renault et développe avec succès une grève que la CGT ne peut, dans un premier temps, contrôler. Débordée par les métallos qui soutiennent le comité de grève, la CGT reprend alors les revendications des grévistes et récupère la direction du mouvement de grève de Renault. Des grèves vont alors éclater un peu partout, d’autant plus facilement que la CGT désormais ne s’y oppose plus.

Le 5 mai 1947, le Président du conseil Ramadier exclut les ministres communistes du gouvernement. L’exclusion des communistes du gouvernement correspond au début de la Guerre froide. Après la réunion du « Kominform » [40] en septembre 1947, les communistes français se mettent à critiquer le plan Marshall [41] qu’ils acceptaient auparavant.

Dès octobre, les grèves, au préalable spontanées ou soutenues par la CGT, vont être fortement impulsées par les militants communistes. Ces grèves de 1948, très dures, en particulier chez les mineurs, entraînent des blessés très nombreux et des morts. Devant le caractère très violent du mouvement le gouvernement fait intervenir l’armée et voter des textes d’exception : rappel de réservistes, sanctions contre les grévistes. C’est Jules Moch (socialiste) comme ministre de l’intérieur qui va organiser la résistance aux grèves et créera dès cette époque les premières « Compagnies républicaines de sécurité ».

L’instabilité politique et la division syndicale (1948-1958)

L’environnement politique

Les questions coloniales vont être au centre des difficultés du gouvernement à majorité socialiste (Indochine, Maroc, Tunisie, puis Algérie). Le maintien irréaliste de l’Empire colonial français, dénommé alors « Union Française » (créée en 1946), entraînera la gauche à soutenir totalement (SFIO) le régime colonial français. La guerre d’Indochine verra une opposition de la CGT et du mouvement communiste contre cette guerre désespérée de maintien de l’Empire français. Des débrayages et des refus des dockers de charger les bateaux en partance pour la colonie seront réprimés. Avec le gouvernement socialiste de Guy Mollet la France s’enfonce dans la guerre d’Algérie. La croissance économique s’accompagne d’une inflation régulière ; les difficultés du commerce extérieur s’accumulent.

La vie syndicale

La CGT :

La CGT va perdre de nombreux adhérents en raison de son alignement sur le PCF (refus de mener les grèves dans la bataille de la production, puis scission FO, puis politique ultra radicale coupée des masses dans le début des années 1950). Des 5 millions de 1936 elle passe à 3 ou 4. Elle va développer des grèves politiques, parfois violentes (manif Ridgway [42] en 1952) jusqu’au 12 février 1952 où elle enregistre l’échec d’une grève générale lancée par elle seule. Sur les questions coloniales, à partir de 1954 elle sera discrète quant au soutien au FLN algérien, condamnera la désertion et le mouvement des « porteurs de valises », le seul mot d’ordre avancé étant « Paix en Algérie ». Les syndicats participent peu au blocage des trains des réservistes pour l’Algérie. Les seules grandes manifestations seront celles contre De gaulle (1958), l’OAS et Charonne (1962) à la fin de la guerre.

Force ouvrière :

FO va, lors de sa naissance en décembre 1947, début 1948, bénéficier de la sollicitude des ministres socialistes au gouvernement (subvention de 40 millions) et de l’aide des syndicats américains (AFL). On estime à cette date que 500000 adhérents ont rejoint Force ouvrière. La création de ce syndicat correspond à la fois à l’affrontement politique ancien entre le PCF et la SFIO, mais aussi au climat de guerre froide et aux subventions des syndicats US pour faire contrepoids aux syndicats proches de l’Union soviétique.

La CFTC :

À l’occasion de grèves sur les conventions collectives en 1950 les militants de la CFTC vont agir avec ceux de la CGT et ainsi, petit à petit, se faire admettre.

Au sein de la CFTC, la direction confédérale avec Gaston Tessier va de plus en plus fortement s’opposer à la minorité qui progresse.

Les minoritaires, dès 1952, lancent l’idée de « socialisme démocratique » reposant sur une planification démocratique : il s’agit d’arracher l’économie à l’arbitraire de l’entreprise privée et à la loi du profit, en faisant de l’investissement une responsabilité publique sur la base d’une délibération démocratique. En 1955, la motion minoritaire favorable au socialisme démocratique recueille 39,8 % des voix du congrès confédéral.

Les autres :

La FEN, le plus grand syndicat de l’Éducation nationale, ainsi que d’autres syndicats qui seront considérés comme « autonomes », refusent l’un ou l’autre camp et gardent leur autonomie en n’adhérant à aucune confédération. C’est aussi le cas du Syndicat des Impôts (SNUI), de la Banque de France (SNABF), des journalistes (SNJ) et de la Caisse d’Épargne (SU Caisse d’Épargne). Pour ces syndicats, des congrès sont organisés. Ils souhaitent privilégier le maintien de l’unité syndicale interne à leur profession, entreprise ou administration. Ils espèrent « le retour à une grande CGT à nouveau réunifiée ». Ce passage à l’autonomie est souvent perçu comme provisoire en l’attente d’une réunification.

Les luttes ouvrières

Suite au vote par l’Assemblée nationale en juillet 1953 de la possibilité pour le gouvernement Laniel de modifier par décret le régime de retraite des fonctionnaires et du secteur nationalisé la CGT et la CFTC lancent un mot d’ordre de grève d’une heure pour le 4 août, refusé par FO. Malgré les consignes confédérales, les postiers FO de Bordeaux décident la grève illimitée ; ils sont suivis par ceux de la CGT et de la CFTC. Le mouvement s’élargissant, les trois fédérations nationales généralisent le mouvement : grève générale des fonctionnaires et du secteur public le 7 août 1953. Le 13 août le mouvement s’étend à une partie du secteur privé.

Au sein de la CFTC les minoritaires vont sévèrement critiquer le comportement de la direction confédérale.

Au cours de l’été 1955, de grandes grèves vont s’étendre à partir des chantiers navals de Saint-Nazaire. Les syndiqués CGT, CFTC et FO vont se heurter aux patrons, aux préfets et aux CRS ; par leur action ils vont obtenir 22% d’augmentation (alors qu’au début du mouvement les patrons n’acceptaient que 5%). D’autres secteurs professionnels connaissent aussi de longues grèves, mais sans parvenir à de tels succès. Le patronat va s’efforcer de limiter l’ampleur des concessions et d’arrêter la vague de grèves, soit en réclamant une médiation, soit en proposant un accord d’entreprise.

L’accord d’entreprise signé à Renault en 1955 avec les sections syndicales, et prévoyant des avantages sociaux importants, va servir de référence pour les militants syndicaux d’autres entreprises. C’est l’acquisition chez Renault de la troisième semaine de congés payés, qui va s’étendre un mois plus tard à toute la métallurgie, puis à tous les salariés par voie législative.

En 1962, sont signés à nouveau des accords chez Renault qui amènent la quatrième semaine de congés payés. À partir de l’accord de 1955 on se dirige vers un syndicalisme moins violent, pacifié, où les négociations ont davantage leur place.

La guerre d’Algérie (1958-1962)

Les positions syndicales divergent face à la question algérienne. FO demande des négociations sans préalable ni exclusive entre les mouvements de résistance du peuple algérien MNA et FLN [43]. La CFTC réclame une solution négociée. La CGT, derrière le PCF, et malgré le soutien de ce dernier aux pouvoirs spéciaux, accordés en 1956 [44], se prononce pour la « paix en Algérie » et manifeste sur ce mot d’ordre. De 1958 à 1960, les organisations syndicales se révèlent, toutefois, incapables d’actions spectaculaires. En face des barricades d’Alger, les réactions sont variables et viennent surtout de la CGT de la CFTC, de la FEN et de l’UNEF.

Le développement du terrorisme OAS, en France en 1961, entraîne quelques arrêts de travail unitaires.

En octobre 1961 une manifestation algérienne en plein Paris fait 200 victimes, sous l’autorité du préfet Papon. Les chiffres sont contestés, la préfecture déclarant de son côté 3 morts puis 48 quelques temps plus tard. Aujourd’hui on sait que les archives policières ont été détruites.

Le 8 février 1962 une manifestation organisée à Paris par CGT-CFTC-UNEF, contre la guerre d’Algérie, se termine par huit morts suite à une violente charge policière près du métro Charonne ; le 13 février 500000 personnes accompagneront au Père Lachaise les victimes de la répression.

Cet environnement politique difficile explique le peu d’importance des grèves durant cette période ; on voit surtout naître un nouveau type de grève qui entrave la production en provoquant les pertes de salaires les plus réduites (grèves tournantes, grèves bouchons...) ; et aussi des grèves pour le maintien de l’emploi (textile, construction navale, charbonnages, mineurs de Decazeville de décembre 1961 à février 1962). Les seuls mouvements de grèves importants de la période se développent après les accords d’Évian de 1962 qui mettent fin à la guerre d’Algérie.

2. Une période particulièrement combative de la lutte de classe (1963-1979)

La grève des mineurs

Dès 1953 la production de charbon recule devant la montée du gaz, du pétrole et de l’électricité. Les salaires des mineurs prennent beaucoup de retard sur le coût de la vie. Ces derniers, avec la CFTC et FO, puis la CGT, se lancent, à partir du 1er mars 1963, dans une grève illimitée pour les salaires, la réduction d’horaires et la quatrième semaine de congés obtenue en 1962 par les métallos ; ils vont négliger l’ordre de réquisition du gouvernement en Lorraine comme dans Nord-Pas-de-Calais ; ils vont bénéficier de la solidarité financière des cadres des mines, de l’appui de presque toute la presse et de la sympathie de l’opinion publique. L’accord avec le gouvernement interviendra seulement le 5 avril.

La brèche ouverte par les mineurs va voir s’engouffrer les autres syndicats du secteur public : cheminots, RATP, EDF et GDF. La réaction gouvernementale ne se fait pas attendre : profitant de la docile majorité dont il dispose au Parlement il fait voter en juillet 1963 la loi réglementant la grève dans les services publics (institution du préavis de cinq jours, interdiction des grèves tournantes, retenue d’une journée de salaire pour tout arrêt de travail même d’une courte durée...).

Par ailleurs, le gouvernement met en place de nouvelles procédures de négociation dans le secteur public (procédure « Toutée ») prévoyant, en échange de certains avantages, que les syndicats renoncent à la grève pour la durée du contrat.

La longue grève des mineurs du Nord en 1963 ouvre une période longue et exceptionnelle de la lutte de classe qui ne se terminera qu’avec l’élection de François Mitterrand en 1981. La période 1963-1980, qui inclue la grève générale de mai 1968, enregistre une conflictualité très grande, tant au point de vue du nombre de grèves, que de leur radicalité, qui n’avait pas encore eut lieu auparavant et qui n’a pas reparut depuis. Mai 68 n’est pas sorti du néant par les affrontements étudiants (qui ont été un révélateur et un détonateur important) mais faisait suite à des grèves avant ce mois de mai et qui vont se prolonger sous des formes radicales jusqu’à la grande grève des métallurgistes de 1979.

L’évolution s’accélère au sein de la CFTC

En 1959, à son Congrès, la CFTC adopte le rapport sur la « planification démocratique » présenté par Gilbert Declercq.

En 1961, Eugène Descamps, ancien minoritaire, devient secrétaire général de la CFTC. Certaines fédérations (métallurgie, chimie, enseignement, bâtiment) souhaitent « déconfessionnaliser » la centrale, c’est à dire supprimer la référence à la morale chrétienne et retirer le mot « chrétien » du sigle de la confédération. Les opposants à cette tendance, particulièrement nombreux chez les mineurs, se regroupent.

À partir de 1960, une procédure est mise en place pour étudier les problèmes d’orientation. Au congrès de novembre 1964, par 70% des mandats, la CFTC devient la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Les nouveaux statuts ne font plus référence à la « morale sociale chrétienne », ils affirment que tout le combat du mouvement ouvrier « est fondé sur la notion fondamentale que tous les êtres humains sont doués de raison et de conscience et qu’ils naissent libres et égaux en dignité et en droit ».

Dès le soir du congrès des délégués des mineurs et des fonctionnaires se réunissent et constituent la « CFTC maintenue » qui regroupera environ 10% de l’ancienne CFTC.

Un nouvel accord d’unité d’action

Une nouvelle journée nationale d’action à l’appel de la CGT, de la CFDT et de la FEN, entraîne grèves et manifestations le 1er février 1967. Parallèlement à ces actions décidées du sommet, on voit surgir des conflits particuliers (Rhodiacéta, Chantiers de Saint-Nazaire, Berliet). Pour protester contre les menaces portées par le gouvernement sur la Sécurité sociale, une nouvelle grève générale de 24 heures réunit toutes les organisations syndicales le 17 mai 1967. Parallèlement, les partis politiques de gauche font des tentatives de rapprochement entre eux.

Mai 68 et l’après mai

La situation sociale

L’emploi devient le problème numéro un : environ 450000 chômeurs au début de 1968, le textile, la sidérurgie et les mines de fer et de charbon sont les secteurs particulièrement touchés.

Les ordonnances prises par le gouvernement en vertu des pouvoirs spéciaux remettent en cause le système de Sécurité sociale mis en place à la Libération (remplacement de la Caisse nationale de Sécurité sociale par trois caisses : une caisse maladie, une caisse vieillesse, une caisse allocations familiales. Par ailleurs, les salariés voient leur représentation baisser de 75% à 50% dans la gestion des caisses et la parité est établie entre représentants patronaux et ouvriers, lesquels ne sont plus élus, mais désignés par les organisations (3 CGT, 2 CFDT, 2 FO, 1 CGC, 1 « CFTC maintenue »).

Une autre ordonnance vise à mettre en place « la participation des salariés aux fruits de l’expansion », application de la vieille idée gaulliste de la « participation ».

Les conflits sociaux

Des conflits longs et durs marquent la première moitié de l’année 1967. Cette combativité se manifeste aussi lors des grands mouvements lancés à l’initiative de la CGT et de la CFDT qui ont signé en janvier 1966 leur accord d’unité d’action.

Le patronat, quant à lui, se montre peu enclin à négocier. En janvier 1968, les travailleurs de la Saviem de Caen trouvent face à eux près de 5000 CRS ; le 26 janvier une manifestation regroupant CGT, CFDT FO, FEN et UNEF a lieu à Caen ; face à la violence policière on constate une riposte énergique où sont notamment présents de jeunes travailleurs.

Les étudiants

À l’étranger, on remarque une contestation étudiante parfois violente : émeutes en avril 1968 à Berlin, « contre-cours » organisés par les étudiants eux-mêmes en Italie, marches de protestation contre le racisme et la guerre du Vietnam aux USA.

Par contre en France l’organisation syndicale étudiante, l’UNEF, est en crise depuis plusieurs années ; la désaffection des étudiants pour le mouvement se confirme par le nombre de cartes : 12% de syndiqués pour l’année scolaire 1966-1967. Suite à la démission du bureau élu sur une plate forme réformiste, l’UNEF est prise en main par les étudiants du PSU [45] ; mais à la veille de mai 1968, ce bureau PSU de l’UNEF est démissionnaire et son vice-président Jacques Sauvageot expédie les affaires courantes.

Par ailleurs, le milieu étudiant est divisé en un grand nombre de petites organisations politiques ; l’éclatement de l’Union des étudiants communistes décidé par le Parti communiste en 1965 entraîne la création d’un courant trotskiste animé par Alain Krivine (Jeunesse communiste révolutionnaire) et la formation d’une minorité « prochinoise ».

Les étudiants ont pourtant été le détonateur de ce que l’on appelle maintenant « les évènements de Mai » ; dans cette révolte étudiante c’est la Faculté de Nanterre qui va en être le prélude et en devenir le symbole.

La faculté de Nanterre, conçue comme une usine de production d’intellectuels moyennement qualifiés, est construite dans un site désurbanisé ; en quelques années elle regroupe plus de 15000 étudiants, particulièrement nombreux en sciences humaines (sociologie). À l’intérieur de la Faculté des « groupuscules » réclament des institutions paritaires enseignants-étudiants dotées de pouvoirs réels ; des militants avec Daniel Cohn-Bendit veulent, par ailleurs, remettre en cause le règlement intérieur qui règle la vie des étudiants sur le campus. Suite à divers incidents des militants organisent le 22 mars les bases d’une université critique. À partir du 2 avril ce mouvement prend de l’importance et de l’audience parmi l’ensemble des étudiants ; certains enseignants mettent des salles à la disposition des groupes de travail qui se mettent en place.

La fermeture de la Faculté le 3 mai amène le mouvement à déborder sur Paris et sur la Sorbonne que la police investit.

La répression soulève dès le lendemain, 11 mai une vague d’indignation, plus de 5000 arrestations. Ce jour-là, la CFDT, la CGT, la FEN, l’UNEF et le SNES-Sup, se réunissent à la Bourse du travail. Une grève générale de 24 heures est décidée pour le 13 mai. FO et la CGC vont s’y rallier tout en marquant leurs réticences vis-à-vis des manifestations. Seule la CFTC s’abstient.

Le 13 mai, la grève est massivement suivie à travers toute la France et dans toutes les professions (de 500000 à 800000 manifestants à Paris, de République à Denfert). Au soir de cette journée, la CGT déclare que le front syndical doit être cimenté. La CFDT invite toutes ses organisations « à poursuivre avec une vigueur accrue les actions revendicatives en cours ».

Les travailleurs

Le 14 mai, les 2000 travailleurs de Sud-Aviation à Bouguenais (Loire-Atlantique), en lutte depuis trois semaines face à une direction qui refuse toute négociation, occupent leur usine et enferment le directeur. Ce mouvement va faire tâche d’huile : le 15 mai ce sont les ouvriers de l’usine Renault de Cléon (Seine-Maritime) ; le lendemain ce sont les autres usines du groupe Renault : Flins, Sandouville, Le Mans, Orléans, Billancourt. Puis d’autres entreprises métallurgiques vont aussi être occupées par leurs ouvriers.

La grève avec occupation va gagner tout le pays : le 17 mai, la SNCF, le 18 mai, les postiers, la RATP, les services publics vont être rapidement paralysés (ce qui n’avait pas été le cas en 1936), l’ORTF le 20 mai. Le 25 mai, il y a 10 millions de travailleurs en grève.

Cette grève générale est partie des entreprises, de la base ; souvent les sections syndicales, sections d’entreprises, syndicats et unions locales, vont jouer un rôle essentiel dans l’extension et l’organisation de la lutte.

Le mouvement s’organise dans les entreprises qui sont presque toutes occupées. Ces occupations témoignent de la volonté des travailleurs d’organiser leur action sur le lieu de travail et de protéger leur grève ; l’occupation a aussi un sens symbolique : pour certains elle marque la volonté de remise en cause de l’autorité patronale, voire de la propriété privée des moyens de production. Les revendications sont diverses d’une entreprise à l’autre mais ce qui revient souvent concerne le pouvoir d’achat, l’emploi et la sécurité sociale. De nouveaux militants, de nouveaux leaders vont surgir. Les facultés occupées, l’Odéon et la Sorbonne à Paris, vont être le théâtre d’échanges très ouverts avec les étudiants.

Sur le problème des revendications et des formes de lutte, d’importantes divergences apparaissent entre la CGT et la CFDT, à tous les niveaux des structures syndicales. La CGT ne veut pas sacrifier les revendications sur le pouvoir d’achat à des « formules creuses : autogestion, réformes de structures, plans de réformes sociales et universitaires et autres inventions » (déclaration du 21 mai).

Par contre, dès le 16 mai, la CFDT communique : « À la monarchie industrielle et administrative, il faut substituer des structures administratives à base d’autogestion ». L’unité d’action CGT-CFDT va être très largement mise entre parenthèses en mai-juin 1968. Les comités d’action mis en place par les étudiants vont tenter, avec des succès relatifs, d’étendre et d’unifier le mouvement avec les travailleurs et dans les quartiers.

Les politiques

La paralysie de l’économie est totale en France et le manque d’essence arrête toute activité. Par ailleurs, le PCF souhaite que soit rapidement mis au point un programme social des partis de gauche ; la FGDS [46] réclame des élections. De Gaulle reste silencieux ; dans sa première intervention, le 24 mai, il propose un référendum sur le thème de la participation. Son intervention apparaît surtout comme une demande de blanc-seing sur un projet sans consistance ; il s’agit ni plus ni moins d’un plébiscite.

Le pouvoir absent

Le premier ministre Georges Pompidou décide alors de jouer la carte de la négociation. Déjà, le CNPF a pris un contact officieux avec la CGT. Des négociations tripartites s’ouvrent le 25 mai, rue de Grenelle (Pompidou et des représentants du gouvernement, les syndicats CFDT, CGT, FO, CGC, CFTC, FEN, le CNPF et les PME). Elles vont durer jusqu’au 27 mai au matin au siège du ministère des Affaires sociales. Un constat se fait sur quelques points positifs : augmentation du SMIG de 35%, augmentation des salaires du secteur privé de 7% immédiatement puis 3% en octobre, réduction du temps de travail (2 heures pour les horaires dépassant 48 heures), élaboration d’un projet sur le droit syndical ; sur tous les autres points (durée du travail, âge de la retraite, emploi, sécurité sociale) patronat et gouvernement refusent de céder. Il n’y a donc pas signature d’accord, mais simple constat des points de convergence, et de divergence, constat que les organisations syndicales vont présenter aux travailleurs dès le lundi matin 27 mai : « ce qui a été décidé ne saurait être négligé » (Séguy), « les avantages ainsi acquis sont importants » (Descamps). Séguy et Frachon se rendent chez Renault où les travailleurs décident de poursuivre la grève. Il en sera de même dans toutes les entreprises. Ayant perdu le contrôle de la vie économique du pays, le gouvernement n’a plus prise sur les évènements.

Le 27 mai à l’initiative de l’UNEF, se déroule au stade Charléty une grande manifestation ; le PCF refuse l’invitation de participer à ce rassemblement ; la CGT, pour éviter que les jeunes ouvriers ne se rendent au meeting des étudiants, organise hâtivement 12 rassemblements à Paris. Plusieurs fédérations CFDT chargent F. Krumnov de les représenter à Charléty ; y participe également Barjonet, responsable du secteur économique de la CGT en désaccord avec la ligne suivie par la CGT, et Pierre Mendes-France [47] qui en espère une retombée politique.

La reprise en mains et le reflux de la vague

De Gaulle a organisé sa « disparition » le mercredi matin 29 mai, jour du conseil des ministres ; des rumeurs fantaisistes circulent sur sa destination ; en réalité, il est allé s’assurer de la discipline et de la détermination des troupes françaises en Allemagne et de leur chef, Massu. Ce suspense savamment entretenu va rendre l’opinion publique plus sensible à sa « résurrection » dans l’après-midi du jeudi 30. Dans son allocution, De Gaulle annonce qu’il reste, qu’il ne change pas de premier ministre, qu’il diffère le référendum, que l’Assemblée nationale est dissoute et que de nouvelles élections législatives auront lieu. Deux heures après cette allocution une puissante manifestation gaulliste regroupant 400000 personnes sur les Champs-Élysées apporte son soutien au régime et réclame le retour à l’ordre. Depuis plusieurs jours déjà des associations gaullistes (Service d’action civique-SAC, Comités de défense de la République-CDR) préparaient une telle manifestation dont le succès va dépasser toutes leurs espérances.

Le vent a tourné ; en plus du choc psychologique provoqué par le discours du Chef, le retour de l’essence à la veille d’un week-end de Pentecôte ensoleillé aura un impact considérable.

Le gouvernement reprend du poil de la bête, le patronat redresse la tête. La reprise en main va s’accompagner d’un durcissement très net vis-à-vis des grévistes : la police fait évacuer des bureaux des PTT et l’ORTF [48]. Les responsables syndicaux appellent les travailleurs à poursuivre l’action pour les revendications ; ils demandent une reprise de la négociation de Grenelle. L’UNEF est la seule organisation syndicale qui refuse de se lier aux partis au moment où le gouvernement tend le piège des élections législatives afin d’enliser le mouvement et de le détourner de son véritable but ; pour l’UNEF, il s’agit de montrer que « la lutte continue jusqu’à ce que le but soit atteint, le pouvoir aux travailleurs » ; et le samedi 1er juin l’UNEF défilera seule, accompagnée de quelques délégations ouvrières, aux slogans « Élections, trahison », « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ».

Le 6 juin la quasi-totalité des postiers sont au travail ; c’est déjà fait pour l’EDF et la SNCF, la RATP reprendra le 7, mais de nombreux dépôts poursuivent cependant le mouvement.

La reprise du travail se fait parallèlement à la conclusion des négociations ; des difficultés vont apparaître dans la métallurgie et la construction automobile.

Par ailleurs le pouvoir met fin aux occupations des facultés après avoir dissout les mouvements d’extrême gauche.

Les grévistes de l’ORTF ne se résigneront à la reprise que le 27 juin ; au cours du mois suivant, il y aura licenciements et mutations.

Des divergences vont s’accentuer entre la CGT et la CFDT ; les élections législatives sont à l’arrière-plan. Le PCF réclame « un climat d’ordre et de tranquillité publique » ; la FGDS préfère le terrain électoral à son absence relative de mai 68 ; le PSU veut « faire des élections un usage relativement positif » et pense récolter les fruits du courant de mai dans lequel il fut pleinement baigné.

À l’issue d’une campagne électorale centrée par la droite sur la crainte du « péril rouge », la majorité obtient une éclatante victoire électorale 358 sièges sur 485.

Les partis politiques de gauche ont vendu la grève générale pour un plat de lentilles dont ils n’ont même pas profité. Mai 68 a pourtant eu des conséquences importantes. Le SMIG a été réévalué de manière importante, des hausses de salaires ont été obtenues, les abattements régionaux ont été supprimés. C’est aussi sur le plan culturel que l’on change d’époque. L’encadrement lourd patriarcal et familial commence à craquer. L’arrivée de la pilule contraceptive en liaison avec les mouvements féministes, les premières revendications homosexuelles verront le jour peu de temps après. Toute une jeunesse ouvrière et étudiante en nombre s’est levée contre une société autoritaire qui ne lui laissait aucune place.

Les promesses de Grenelle

Le gouvernement Couve de Murville est contraint de tenir les promesses de Grenelle et fait voter en décembre 68 la loi sur le droit syndical : l’exercice du droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises, mais seules, les entreprises employant habituellement au moins 50 salariés sont concernées par les dispositions de la nouvelle loi (en sont donc exclus 2,5 millions travailleurs) ; cette loi s’applique au secteur nationalisé, mais les fonctionnaires de l’État et des collectivités locales seront couverts par d’autres textes en préparation (circulaire Chaban-Delmas en septembre 1970).

Chaque syndicat peut constituer au sein de l’entreprise une section syndicale qui assure « la représentation des intérêts professionnels de ses membres ».

Des moyens sont mis à la disposition des sections : la collecte des cotisations est autorisée « à l’intérieur de l’entreprise, en dehors des temps et des locaux de travail » ; l’affichage des communications syndicales est libre, un exemplaire étant remis simultanément à la direction ; la distribution des tracts peut se faire aux heures d’entrée et de sortie ; dans les établissements de plus de 200 salariés les sections syndicales peuvent disposer d’un local mis à leur disposition par la direction ; les adhérents de la section syndicale ont le droit de se réunir une fois par mois dans l’enceinte de l’entreprise, en dehors des heures et des locaux de travail.

Des mesures sont prises pour permettre aux délégués syndicaux d’exercer leur responsabilité (crédit d’heures).

La vie syndicale

Les évènements de mai n’ont pas été sans influence sur les centrales syndicales.

La CGT, qui a peu apprécié les formes d’action apparues en mai 68, va toutefois être obligée d’admettre que les travailleurs doivent prendre une plus grande part à l’élaboration des revendications et à la définition des formes d’action. Ceci ne l’empêche pas de garder une préférence pour les journées nationales d’action décidées au sommet, et elle se méfie toujours autant des groupes d’extrême gauche qu’elle considère comme les alliés de la bourgeoisie.

La CFDT met l’accent sur une action progressive et continue ayant pour point de départ les problèmes qui se posent à la base, aux travailleurs. Elle se réclame du socialisme autogestionnaire et de la transformation sociale des moyens de production. Pendant l’après mai elle soutient toutes les luttes ouvrières radicales et les luttes sociétales (Lip, Larzac, mouvement des femmes, mouvement antinucléaire...) avant son recentrage à partir de 1979.

L’après Gaullisme (1969-1973)

L’environnement politique

Au référendum de 1969, où le général De Gaulle remettait sa place en jeu, le « non » l’emporte largement et le général prend sa retraite ; Georges Pompidou devient Président de la République, et choisit Chaban-Delmas comme premier ministre.

Au parti socialiste François Mitterrand devient le premier secrétaire. Le nouveau parti va adopter son programme « Changer la vie » en mars 1972.

De son côté le PCF, après l’exclusion de Garaudy [49] et de Tillon [50], après des déclarations publiques témoignant d’une prise de distances vis-à-vis de certaines pratiques des pays communistes, sort son « programme d’union démocratique » en octobre 1971.

Chacun des deux partis ayant élaboré son propre programme, les négociations deviennent possibles en vue de l’élaboration d’un programme commun. Cet accord est signé le 26 juin 1972 : c’est la première fois que les deux partis concluent un accord en vue de gouverner ensemble (en 1936, le PCF n’a pas accepté de participer au gouvernement). L’extrême gauche présente à cette époque une importance certaine :

Les trotskistes sont éparpillés dans plusieurs organisations : la Ligue communiste révolutionnaire d’Alain Krivine, Révolution, Lutte ouvrière, l’Organisation communiste internationale. Les libertaires sont regroupés autour de la Fédération anarchiste et de l’ORA (Organisation révolutionnaire anarchiste).

Les maoïstes sont essentiellement regroupés dans la Cause du Peuple qui succède à la Gauche prolétarienne dissoute en mai 1970. En février 1972, l’un de ses militants, ouvrier de chez Renault, Pierre Overney, est assassiné par un vigile à Billancourt. Ceci étant, de nombreux groupes, aussi importants numériquement et politiquement, mais moins médiatisés, ont occupé le champ politique de cette époque (PCMLF, PCR, ayant le soutien du Parti communiste chinois) ainsi qu’une pléiade de petits groupes se réclamant de la même idéologie.

L’économique et le social

Le chômage s’accroît ; le patronat a de plus en plus recours à des travailleurs moins organisés, sous-payés et plus mobiles (main-d’ouvre féminine, main d’ouvre temporaire, travailleurs migrants).

La vie syndicale et les négociations

Pour la CFDT la société industrielle est par nature une société d’exploitation, une société inégalitaire, une société aliénante. La réponse globale de la CFDT consiste en l’autogestion, la propriété sociale des moyens de production et d’échanges, la planification démocratique. Alors que pour la CGT la stratégie consiste à lutter contre le pouvoir unique de l’État et des monopoles, pour éviter de diviser les travailleurs, elle refuse de remettre en cause certains avantages catégoriels (hiérarchie des salaires, par exemple). Leurs deux conceptions du socialisme, quant aux conditions de sa réalisation et quant à sa finalité, expliquent leur attitude différente vis-à-vis du programme commun, soutenu par la CGT alors que la CFDT veut rester autonome et émet des réserves sur son caractère productiviste. Le patronat s’immisce directement dans la vie syndicale comme il l’avait fait avec les syndicats jaunes au XIXe siècle. Avec l’aide et l’argent de l’UIMM sont créées la CFT (Confédération française du travail) puis la CSL (Confédération des syndicats libres) essentiellement dans l’automobile à partir de Peugeot Sochaux et Citroën Javel à Paris [51].

Des conflits sociaux durs

Au cours de cette période les conflits du travail sont caractérisés à la fois par leur permanence, leur radicalité et leur nouveauté. Les revendications salariales demeurent les plus nombreuses, mais de plus en plus souvent les travailleurs demandent des augmentations non hiérarchisées ; elles sont souvent formulées par les « oubliés de l’expansion » : travailleurs des zones peu industrialisées (le Joint Français à Saint-Brieuc de mars à mai 1972), immigrés (Manuest, Penarroya), femmes (Nouvelles Galeries de Thionville d’avril à juin 1972, Moulinex, Cerisay).

Les luttes sur les conditions de travail se développent ; elles ébranlent ce qui a été considéré trop longtemps comme quelque chose qu’on ne pourrait changer, qu’on subissait comme inéluctable ; elles ont en outre révélé au public le caractère insupportable de nombreuses situations de travail : conflits des « ouvriers spécialisés » chez Renault (1971, 73, 75), rejet des cadences et grèves du rendement (PIL, Phildar, Coframaille, compteurs Jaeger). Elles sont souvent des grèves d’OS et dans une période où l’industrie textile supprime de nombreux emplois elles sont le fait d’usines de femmes [52].

Ces luttes sont souvent le fait des nouvelles vagues d’immigration : Algériens, Marocains, Portugais qui vont être remplacés, par la suite, par les travailleurs d’Afrique subsaharienne et d’Asie, puis par les Turcs, et de manière contemporaine par les travailleurs des pays de l’Est de l’Europe et les Pakistanais. En 1975 les immigrés représentent 49,6% des manouvres et des OS. Les grèves des Câbles de Lyon, de Pennaroya (1972), des usines Renault (1971, 1973, 1975) puis Citroën (1982), Simca-Talbot Poissy (1983) et le mouvement de la Sonacotra, pour obtenir des conditions de logement décentes, sont emblématiques des grèves ouvrières de cette époque.

Les luttes pour la régularisation de tous ces immigrés surgissent à partir du début des années 1970 ; elles sont nombreuses, passent souvent par des grèves de la faim et seront très visibles en 1973 au moment des circulaires Fontanet-Marcellin.

Les luttes sur l’emploi vont se multiplier, alors que le chômage s’élève et que des patrons pratiquent le licenciement individuel pour cacher des licenciements collectifs : grève au Bon marché en janvier 1973. Ces conflits sont souvent longs et durs : occupation des lieux de travail, grève illimitée, recours fréquent à des formes d’action souvent illégales (séquestrations à Fougères, dans les mines de Faulquemont...).

Plus qu’avant 1968, ont voit des conflits naître à l’initiative des travailleurs. L’âpreté des affrontements est souvent constatée ; en 1973 à l’usine Péchiney de Noguères la Direction décide de stopper complètement la production, ce qui a pour effet la détérioration de l’outil de travail.

L’opinion publique pouvant jouer contre les grévistes, particulièrement dans les grèves des services publics (ainsi EDF en décembre 1969), les travailleurs vont souvent chercher à populariser leurs conflits, par la mise en place de comités de soutien (le Joint français).

Dans ce domaine, la « lutte des Lip » est exemplaire : alors que nombre de leurs initiatives sont illégales (occupation, saisie de documents, prise du stock de montres, paies sauvages, ventes...), leur conflit, commencé en juin 1973, est une nouvelle stratégie syndicale dans le domaine des luttes sur l’emploi. Edgar Faure [53] se déclarera favorable aux initiatives des grévistes, le secrétaire d’État au travail ne repoussera pas l’idée d’acheter une montre Lip qui lui serait proposée par un gréviste, et le secrétaire adjoint de l’UDR [54] demandera aux pouvoirs publics « un peu plus de chaleur humaine dans le règlement du conflit » et déclare que « le devoir permanent des pouvoirs publics est d’assurer le plein emploi dans chaque région de France » ! La majorité elle-même est obligée de tenir compte du retentissement du conflit dans l’opinion publique [55].

Enfin cette période est aussi caractérisée par le développement des luttes sur d’autres terrains : cadre de vie (transports, urbanisme) ; lycéens protestant contre la loi Debré au printemps 1973 (remise en cause du système des sursis), lutte des femmes contre les discriminations sexistes (MLF [56], MLAC [57]). À partir de 1974 et du « choc pétrolier » la crise frappe durement les salariés et c’est contre les licenciements principalement que s’opposeront ces derniers. La grande lutte des sidérurgistes contre une diminution de près de 70% des emplois en France clôt la période. La CFDT, puis la CGT créent des radios pirates sur le bassin et la ville de Longwy. Malgré la force publique, avec le soutien de toute la population la radio CGT « Lorraine cour d’acier » tient une année entière. Elle sera déterminante pour la grande marche des sidérurgistes à Paris en 1979 qui voit de nombreux affrontements avec les sidérurgistes et des provocations policières.

1974-1980 : La crise, le libéralisme, les divisions du monde du travail

Le cadre politique

L’élection de Giscard d’Estaing à la présidence de la République en 1974, puis le départ de Chirac de Matignon en 1976. Des analyses divergentes séparent les partis communiste et socialiste, (divergences sur l’interprétation de la crise économique, amenuisement des voix communistes à chaque scrutin, surtout le PCF s’aperçoit que cette union ne profite qu’au Parti socialiste). La rupture entre les signataires du programme commun de gouvernement intervient le 23 septembre 1977, la majorité remporte les élections législatives de mars 1978 malgré ses problèmes internes.

Élu en 1974, sur des thèmes tels que « le changement » (avec 50,81% des voix), Giscard d’Estaing favorise l’adoption de quelques mesures imposées par l’opinion publique : majorité à 18 ans, libéralisation de l’avortement en 1975 (loi Weil) grâce aux voix de gauche, mais surtout en raison de la pression exercée par les organisations féministes et le MLAC.

Très vite, une politique libérale censée s’intégrer au redéploiement de l’économie mondiale, se met en place, conduisant aux pires conséquences pour le monde du travail.

Le cadre économique

Le premier choc pétrolier de 1974 marque le début de la crise économique qui touche l’ensemble des pays : chômage et inflation s’aggravent. Tout est fait pour favoriser la puissance des grands groupes industriels et financiers concurrentiels au mépris des structures les plus fragiles (petit commerce, certaines PME).

Dans ce contexte, le monde du travail est délibérément sacrifié. Le chômage est indemnisé mais non combattu. Le pouvoir d’achat tend progressivement à la baisse, les acquis sociaux sont rognés, les libertés syndicales s’amenuisent.

Les plans successifs de Raymond Barre concrétisent cette politique qui, en 1981, après cinq ans d’application, conduit à 1,5 millions de chômeurs (6,4% de la population active) et à un taux d’inflation annuel de 13,6.

La vie syndicale de 1974 à 1980

La CGT, qui depuis 1972 a constamment présenté le programme commun comme le seul débouché politique des luttes sociales, va devoir répondre aux multiples interrogations de ses militants ; elle le fait en reprenant les positions du PCF. Le débat au sein de la première organisation syndicale française se poursuit sans interruption jusqu’à l’élection présidentielle de 1981. Au plan international, la CGT tient une place importante dans la FSM et soutient, avec quelques réserves sur la démocratie, les régimes communistes existant dans les pays de l’Est.

La CFDT qui a toujours gardé ses distances vis à vis du programme commun, adopte une stratégie d’union des forces populaires et signe en 1974, une plateforme d’unité d’actions avec la CGT [58]. L’accord joue jusqu’en 1977-78, mais dès le Congrès de Brest (Mai 1979) la CFDT définit son « recentrage ».

Edmond Maire déclare :

« Il faut mettre en discussion notre pratique et accepter de sortir du rêve des solutions miracles à appliquer au soir d’une élection ou d’une grève générale. »

« La CFDT n’entend pas tout subordonner à une solution globale, qui règle tout d’en haut. Il faut redonner sa place à la négociation après l’action, à tous les niveaux. »

FO joue de plus en plus la carte de la neutralité politique et de l’anticommunisme, maintient sa pratique de concertation. Pour FO, la politique contractuelle reste la base du travail syndical.

Les élections prud’homales de décembre 1979 viennent masquer en partie les difficultés décrites ci-dessus. Les salariés, par leur forte participation (63%) montrent que leur attachement au syndicalisme est réel.

3. De 1981 à aujourd’hui, l’Histoire récente, à compléter...

Le cadre politique

L’année 1981, en France, est marquée politiquement par l’élection à la présidence de la République, le 10 mai, de François Mitterrand, suivie d’élections législatives qui donnent le pouvoir politique (Élysée, Matignon, Assemblée nationale) à la gauche.

Quelques décisions importantes sont prises au cours de la première année : la retraite à 60 ans et la cinquième semaine de congés payés, l’augmentation du SMIC et des salaires, des créations d’emplois publics, des nationalisations, des mesures fiscales (impôt sur les grandes fortunes) et aussi l’abolition de la peine de mort.

Dès juin 1982, Jacques Delors, Ministre des finances, est convoqué à Bruxelles. Il revient et avance aussitôt l’ouverture d’une période de blocage total des salaires et de blocage partiel des prix. C’est le tournant de la « rigueur », la fin du gouvernement de Pierre Mauroy et des quatre ministres communistes au gouvernement (qui s’étaient appliqués à freiner tous les mouvements de grève durant cette courte période). Le message est clair : les prix vont pouvoir continuer de monter (et, derrière eux, les profits), pendant que les salaires sont bloqués et que le pouvoir d’achat est réduit par une inflation continue : le temps des travailleurs et des salariés est terminé, et « la norme », la domination des entreprises, est rétablie.

En 1986 s’installe une période de cohabitation entre François Mitterrand et Jacques Chirac, Premier ministre, suite à des élections législatives qui amènent une majorité de droite. Les reculs sociaux se multiplient : privatisations, souvent onéreuses pour les budgets de l’État, suppression du symbolique IGF, attaques contre la Sécurité sociale, plans de licenciements, suppression de l’autorisation administrative de licenciement, etc.

En 1988, les élections présidentielles maintiennent François Mitterrand et font revenir une majorité de gauche à l’Assemblée nationale. Michel Rocard, premier ministre, met en place le RMI. Pierre Bérégovoy lui succèdera, puis Édouard Balladur en 1993, qui attaquera les retraites du privé [59].

En 1995, Jacques Chirac, Président de la République, nomme Alain Juppé premier ministre, qui s’engage notamment dans une vaste réforme de la Sécurité sociale (dont santé et retraites), provoquant un mouvement de grèves très important pour la défense des retraites des fonctionnaires et des régimes spéciaux cette fois. La décision de Jacques Chirac de dissolution de l’Assemblée nationale surprend tout le monde, tout comme l’arrivée d’une petite majorité de « gauche plurielle » qui place Lionel Jospin premier ministre. En 1997 c’est la privatisation de France Télécom.

En 2002, Jacques Chirac reste seul contre le candidat de l’extrême droite Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ; l’abstention ouvrière face à la politique « socialiste » a fait perdre tout crédit à son candidat Lionel Jospin. Lors du premier mai de cette année, entre les deux tours, une mobilisation exceptionnelle de la jeunesse se manifeste contre le Front national.

Pendant toute cette période de fin du XXe siècle en France, les différences, encore fortes entre la gauche et la droite en 1980, se sont progressivement atténuées, essentiellement par un glissement de la gauche et l’abandon de références et de principes. On a parlé du passage de la « social démocratie » au « social libéralisme ».

Ce constat peut être également fait dans la plupart des pays de l’Union européenne. Au départ, il y a le poids de plus en plus fort de l’idéologie « libérale » avec Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et Ronald Reagan aux USA. Cette évolution s’est accélérée à partir de 1989, avec la chute du mur de Berlin et l’implosion rapide du « communisme réel » dans les pays de l’Europe de l’Est. L’absence d’alternative organisée permet au patronat, partout, de mettre en place des législations favorables aux capitaux (qui peuvent circuler librement au sein de l’Union européenne sans aucun contrôle depuis 1990), aux investisseurs, aux marchés financiers désormais mondialisés.

Le 11 septembre 2001, l’attentat à New-York change la donne internationale et initie une nouvelle période où « le terrorisme international » devient l’ennemi majeur. Des guerres à l’initiative des USA sont menées, d’abord en Afghanistan avec le soutien des forces occidentales, puis en Irak. En 2011, l’armée française intervient directement dans son pré-carré africain (Côte-d’Ivoire) et en Libye, pour mettre en place des gouvernements favorables à ses intérêts.

L’environnement économique et social

Dans la plupart des pays, les choix budgétaires et économiques sont convergents : moins de dépenses publiques, moins d’impôts (surtout sur le capital), moins de solidarité sociale, moins d’intervention publique, moins de services publics-outils de solidarité, etc. Mesures favorables aux entreprises, aux investisseurs, aux capitaux, etc.

Et, dans la plupart des pays, les conséquences sont, elles aussi, semblables : maintien d’un chômage de masse, d’une précarité accrue dans les conditions d’emplois, de travail et de vie, accentuation des inégalités.

On rencontre ces caractéristiques dans la plupart des pays « développés », souvent au Nord. Dans les pays du Sud, les misères se poursuivent et s’aggravent souvent avec les exigences de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) qui impose aux pays endettés des « plans d’ajustement structurel » toujours rigoureux pour les populations participant au transfert des richesses vers les pays dominants.

Ainsi, en France, on est passé de 500000 chômeurs en 1974 à un maximum de trois millions dans la période. Le monde n’a jamais été aussi riche, et les inégalités aussi fortes. Les inégalités se creusent à l’intérieur de la plupart des pays. En face de cette augmentation des misères, on assiste à une concentration des richesses. En 1998, les patrimoines des trois personnes les plus riches du monde dépassent, ensemble, le PIB (Produit intérieur brut) global des 48 pays les moins avancés. Les avoirs des 84 personnes les plus riches du monde surpassent le PIB de la Chine, pays le plus peuplé de la planète. On assiste parallèlement à une dérégulation et une financiarisation de l’économie.

Un nouveau système productif

Le patronat tire la leçon des grèves qui ont suivi mai 68, d’un refus du taylorisme (nous ne perdrons pas notre vie à la gagner) qui entraîne une perte de la « valeur travail » pour une partie de la jeunesse ouvrière, parfois des sabotages et souvent une conflictualité radicale. Il décide alors une restructuration du mode de production. Sur le plan des concentrations ouvrières il les supprime, ou diminue de manière drastique les effectifs et ouvre de nouvelles petites unités dispersées dans les villes de province. Sur le plan sémantique on parle alors de « managers » au lieu d’agents de maîtrise [60], de « lignes » pour parler des chaînes de production et « d’opérateurs » qui remplacent le terme ouvrier. Le patronat s’inspire du modèle initié chez Toyota au Japon, dans l’industrie automobile c’est le « toyotisme » : on supprime les stocks (zéro stock), on travaille en « juste à temps », on sous-traite des pans entiers de la production [61], on responsabilise l’ancien OS en élargissant ses tâches (autocontrôle, nécessité de savoir lire sur les chaînes), l’unité n’est plus l’individu mais l’équipe de travail, ce qui permet une flexibilité accrue, un opérateur devient capable de tenir plusieurs postes, d’effectuer une petite maintenance préventive, et de remplacer un absent ou... un gréviste. L’atelier à l’intérieur de l’usine devient responsable de sa gestion et de sa production et l’ouvrier est responsabilisé dans son travail. Le client devient le donneur d’ordre, les exigences de qualité sont accrues [62]. L’intérim est développé à partir du milieu des années 1970 à un degré encore inconnu (20 à 30% sur les chaînes automobiles en 2008). Personne n’est plus embauché directement mais il faut attendre deux ou trois ans en intérim ou contrat précaire (CDD : contrat à durée déterminée, renouvelable).

Pour faire passer ces changements structurels importants on tente d’entraîner la conscience des travailleurs : des « groupes de progrès », « cercles de qualités » [63] sur le modèle japonais sont créés partout dans les usines. En 1982 les lois Auroux (socialiste) entérinent par la loi ce nouveau système productif, en contrepartie elles imposent la NAO (Négociation annuelle obligatoire sur les salaires et le temps de travail). Cette contrepartie accordée aux syndicats (CGT, CFDT, FO) les entraîne, sinon à jouer le jeu, au moins à ne pas s’opposer à des changements qui vont intensifier de manière très importante le travail réalisé dans le temps passé à l’usine. Vers la fin des années 1980, la plupart de ces groupes de collaboration forcée ouvriers-encadrements vont perdre de leur efficacité en raison surtout de la reprise de licenciements au début des années 1990 [64]. Il devient impossible d’intégrer l’assentiment des ouvriers de l’entreprise en même temps qu’on les met à la porte ! Toutefois ces bouleversements contribuent à une perte d’identité ouvrière par rapport à la période précédente. En même temps la loi de juin 1998 [65], sous prétexte de réduction du temps de travail, développe le temps partiel et organise la précarité du prolétariat, en particulier féminin.

En 2000, le gouvernement Jospin, avec Martine Aubry comme ministre du travail, instaure la semaine de 35h en contrepartie d’une dérégulation et d’une flexibilité accrue dans les entreprises industrielles notamment ; les pauses repas sont supprimées contre une réduction du temps de travail et repoussées en fin de poste. On ne vient plus à l’usine que pour travailler de manière quasi ininterrompue. La suppression des cantines, l’organisation de « zones de repos » où l’on peut manger un sandwich contribuent à casser toutes les formes de sociabilité, de convivialité et... de syndicalisme qui contribuaient à la vie de l’usine. Cette diminution importante du temps de travail [66] profite surtout aux classes intermédiaires (cadres, employés, fonctionnaires) qui bénéficient de journées de réduction du temps de travail (RTT) mais surtout ont la possibilité de partir pendant ces nouveaux congés.

C’est aussi dans cette période, avec une mondialisation de l’économie, qu’il devient plus facile de profiter des bas salaires de l’Europe de l’Est ou bien d’Asie et qu’une vague de délocalisations va contribuer à diminuer encore l’effectif industriel. En France et en Europe les ouvriers, relativement peu nombreux au dix neuvième siècle, voient leur nombre le plus important de leur histoire dans les années 1970, (près de 8 millions en France). Mais dans les années 1980-1990 la classe ouvrière de France a perdu 20% de ses effectifs [67] mais reste la catégorie sociale la plus nombreuse dans la population active après celle des employés.

Devant la montée des inégalités et de la pauvreté les gouvernements doivent intervenir, après le RMI [68] de Rocard sont instaurées la CMU [69] et la PPE [70] qui jouent le rôle d’amortisseurs sociaux. La casse des statuts, le développement de l’intérim, des CDD et de la sous-traitance précarisent l’emploi, particulièrement dans le secteur industriel. En parallèle les services publics (Poste, EDF, Rail, Santé) sont progressivement privatisés et le statut des fonctionnaires diminué. Le monde paysan est également touché et trouve la Confédération paysanne pour défendre les intérêts des petits agriculteurs.

À la fin 2008 éclate une nouvelle crise économique du capitalisme éclate à partir des « subprimes » aux USA, de la spéculation sans frein. Le patronat profite de l’occasion pour restructurer son appareil productif (automobile). Les conséquences immédiates sont une montée extrêmement rapide du chômage dans tous les pays. En France le licenciement des intérimaires, le chômage partiel, et la restructuration du secteur de la sous-traitance dans l’industrie particulièrement le bâtiment et l’automobile. La crise financière américaine s’étend au système bancaire mondial et vient aggraver ce qui reste une crise de surproduction [71], économique, sociale et écologique. La « gouvernance mondiale » s’élargit du G7 au G20, mais les décisions prises ne remettent pas en cause les principaux axes du capitalisme financier. Dans tous les pays ce sont les populations dans leur grande majorité qui paient la crise, dont elles ne sont, évidemment, pas responsables, pendant qu’une infime minorité continue à accaparer une grande partie des richesses.

En 2011, les peuples d’Europe (Grèce, Portugal, Espagne, Irlande...), en particulier leurs jeunesses, avec les organisations syndicales ou de manière spontanée, se révoltent contre les injonctions du FMI et de l’UE. Ils refusent l’austérité salariale et la casse des droits, qui servent au final à renflouer les banques à l’issue de la crise de 2009.

En même temps, les régimes dictatoriaux au Proche et Moyen-Orient (Tunisie, Égypte, Yémen, Libye...) sont déstabilisés par des émeutes populaires. Une grande instabilité économique, monétaire, sociale, devient la crainte des gouvernements d’Europe et d’Afrique.

L’environnement syndical et revendicatif

En France, la gauche arrive au pouvoir en 1981 avec un syndicalisme relativement faible en nombre, assez fortement divisé et qui, très majoritairement, faisait confiance à la gauche. La CFDT était très fortement liée au Parti socialiste, la CGT, au Parti communiste. Alors qu’il aurait été nécessaire de faire pression, dans les entreprises, et hors des entreprises, pour rendre plus faciles des dispositions progressistes, la plupart des organisations syndicales, et aussi les travailleurs salariés, ont laissé les partis politiques de gauche « faire le changement ». Dès 1983 et les grèves de Talbot, à Poissy en région Parisienne, le gouvernement socialiste et les ministres communistes refusent de soutenir les grévistes. Les syndicats CGT s’aligneront sur les ministres PCF, la CFDT soutiendra sans faille le pouvoir socialiste. L’institutionnalisation du syndicalisme, progressive depuis 1945, prend un tour aigu. Le manque d’indépendance des confédérations envers le pouvoir politique va contribuer à affaiblir le syndicalisme.

Progressivement les syndiqués partiront de centrales qui sont liées à un pouvoir politique pratiquant une politique de plus en plus libérale contraire à leurs intérêts. Au cours des vingt dernières années, le poids réel du syndicalisme a sérieusement reculé et sa structuration a sensiblement changé.

Fin 1981, dix syndicats autonomes ont leur première rencontre. Progressivement leurs travaux vont les rapprocher pour constituer une entité informelle, le « Groupe des 10 » ou G10.

En 1988-1989, de premières exclusions interviennent à l’initiative de la direction de la CFDT, chez les infirmières et aux PTT. C’est en relation immédiate la création de SUD PTT et de CRC Santé-sociaux [72].

En 1989-1990, les syndicats exclus de la CFDT se rapprochent du G10, dont SUD PTT.

En 1992, la FEN [73] éclate ; le SNES [74] et le courant UA [75] partent pour créer la Fédération syndicale unitaire (FSU) qui va rapidement devenir la première fédération à l’Éducation nationale et la première fédération dans la fonction publique d’État.

En 1993, ce qui reste de la FEN constitue avec la FGAF [76] et trois syndicats partis du G10, l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes) qui, progressivement, va élargir son champ d’intervention, notamment dans les trois fonctions publiques et dans le secteur privé.

Pendant le même temps, la direction confédérale de la CFDT connaît des crises internes graves qui mettent Nicole Notat à la tête de la Confédération. Son évolution se concrétise par le choix pris en 1995 de suivre le plan Juppé et de ne pas s’inscrire dans le mouvement social que connaît le pays en novembre décembre 1995. À l’issue de ce mouvement, la CFDT est traversée de soubresauts : organisation d’une opposition interne sous l’appellation « Tous ensemble ! », et de nombreux départs donnant naissance à de nouveaux syndicats souvent désignés SUD et qui, pour la plupart, vont progressivement rejoindre le G10. Le syndicalisme confédéré s’est considérablement affaibli, la CGT a perdu environ les deux tiers de ses adhérents en 15 ans, la CFDT et FO probablement dans une même proportion.

Les reculs électoraux du PCF, sa perte de références au « communisme réel », le désarroi des militants après l’effondrement de l’URSS en 1989, puis l’arrivée du libéralisme sauvage dans les ex-pays communistes de l’Europe de l’Est, réduisent l’influence du PCF sur la CGT. Sa volonté d’intégration au reste du syndicalisme se concrétise par ses efforts pour adhérer à la Confédération européenne des syndicats (CES) [77]. Ceci la pousse à afficher un rapprochement avec la CFDT qui va lui ouvrir la porte de la CES.

Une Confédération syndicale internationale (CSI) est créée en 2006, profitant de l’écroulement de la FSM, trop liée aux régimes proches de l’ex Union soviétique, la CSI rassemble largement les syndicats dans de nombreux pays, mais n’a pas encore montré son utilité, elle n’a jusqu’à présent pas mené de campagne internationale signifiante alors que les dégâts dans le monde du travail sont très importants.

La CGT s’était engagée lourdement auprès du gouvernement de la gauche plurielle, qui comportait quelques ministres communistes. À partir du tournant de la rigueur en 1983, surtout après 1989 et la perte des idéaux du PCF, elle tente une certaine indépendance. Elle hésite depuis lors entre se positionner sur un « syndicalisme d’accompagnement » aux côtés de la CFDT et, poussée par sa base, sur la pratique d’un syndicalisme au service des revendications, tourné vers l’action et le rapport de force.

La confédération FO connaît elle aussi des glissements importants durant cette période. Bergeron [78] pratiquait un syndicalisme centriste, partenaire privilégié du patronat et totalement installé dans la gestion paritaire des organismes de sécurité sociale. Les glissements de la CFDT vers ce même patronat, l’arrivée de Marc Blondel à la tête de FO, la fin du communisme-l’anticommunisme était le marquage fort de FO et son ciment essentiel-font apparaître une confédération elle aussi en perte de repères. FO pratique une politique de « grand écart » entre une base droitière et une composante trotskiste, en partie présente à sa direction. Une frange militante la quitte pour rejoindre l’UNSA sur un positionnement politique assez aligné sur le parti socialiste.

L’Union syndicale Solidaires, continuatrice du Groupe des 10, implantée surtout dans le secteur public (Impôts, PTT, Santé, Éducation...), voit croître son influence en se développant dans le secteur privé. Elle rassemble en 2011 100000 cotisants. Elle acquiert progressivement une reconnaissance institutionnelle (Fonction publique) et est très active dans les mouvements sociaux et les rencontres altermondialistes que sont les Forums sociaux, mondiaux, régionaux ou locaux.

À plus petite échelle, faisant suite à la Coordination métallurgie de l’Union syndicale Solidaires, en 2006 est créée l’Union syndicale Solidaires industrie, composante de Solidaires national. Elle met en valeur, en 2008, qu’en dix ans, avec l’affaiblissement syndical, les conditions de travail de l’industrie se sont largement dégradées (suppression des préretraites, extension des horaires « atypiques », suppression des pauses, recrudescence des accidents du travail [79]).

Les conflits sociaux

Après 1981 des luttes immigrées sont importantes en particulier chez Citroën (1982) et Talbot (1983) contre le patronat fascisant et contre le gouvernement de gauche qui ne soutient pas le mouvement, en particulier dans l’affaire Talbot. Les principaux conflits de la période qui suit se rencontrent plutôt dans le secteur public. Des conflits se font jour à La Poste, dans la Santé et chez les cheminots dans les années 1986-1988. Devant l’insuffisant soutien de ces grèves par les confédérations, naissent des « coordinations » (cheminots, infirmières...) dont une partie rejoindra Solidaires.

Le conflit des impôts et des finances de 1989 reste le plus long conflit de fonctionnaires depuis 1947. Il se déroule face au gouvernement de Michel Rocard, sourd aux revendications. Sous le gouvernement Balladur, celui-ci doit faire face à un mouvement de la jeunesse très important contre l’instauration d’un « SMIC jeunes » qui ne verra pas le jour. La même année la grève chez Peugeot à Sochaux rappelle le poids des grèves ouvrières.

L’engagement déterminé des cheminots et des salariés de la RATP en automne 1995 pour la défense des retraites et de la Sécurité sociale marque l’opinion publique. Les salariés du public sont en tête de ce mouvement, les salariés du privé et une grande partie de la population soutiennent les grévistes mais estiment ne pas avoir les moyens de faire grève en raison de la précarité de leur emploi. Pour qualifier leur soutien à la grève menée par les fonctionnaires, on parlera d’une « grève par procuration ».

Le « Mouvement des chômeurs » de l’hiver 1997-1998 est également caractérisé par ce soutien de l’opinion publique et par l’importance de l’apparition médiatique. Il fait apparaître au grand public de nouveaux « acteurssociaux », en l’occurrence les chômeurs. Ce genre de regroupement militant sera exporté dans quelques autres pays d’Europe, ce qui permettra la création du Réseau des marches européennes à l’initiative de manifestations convergentes, en 1997 à Amsterdam et en 1999 à Cologne, à l’occasion de la réunion de sommets européens.

Les vagues de licenciements reprennent et les grévistes ont la possibilité au printemps 2001 d’organiser une marche importante des entreprises victimes à nouveau de plans sociaux (LU-Danone, Marks & Spencer, Air Liberté...). C’est le début des « licenciements boursiers » (chez Michelin) sous la pression des actionnaires dans des entreprises qui font du profit. En Basse-Normandie chez Moulinex, les ouvrières doivent faire face à des licenciements à répétition de 2001 à 2004, jusqu’à la fermeture complète de l’entreprise. Elles n’obtiendront réparation qu’en 2007, après des années de lutte et un long procès aux prud’hommes. Face à ces licenciements le gouvernement « de gauche » se déclare impuissant ; « l’État ne peut pas tout » répond le premier ministre Lionel Jospin à l’interpellation des Michelin. Cependant des réactions de résistance acharnée ont lieu comme celle des salariés de STMicroelectronics à Rennes en août 2003, contre la fermeture du site. Les salariés s’affronteront aux gardes mobiles pendant que la fédération CFDT de la métallurgie liquidera la grève en retirant leurs mandats aux militants à la pointe du mouvement.

Un mouvement social plus important en 2003 voit se lever l’ensemble des fonctionnaires contre la remise en cause des retraites (pour le privé ces dernières avaient déjà été réduites de 20% par le gouvernement Balladur) mais la CFDT principalement, liquide la grève. L’Éducation nationale connaît un fort mouvement de grèves reconductibles sur ces revendications et sur des problèmes internes aux enseignants.

En 2005, après 28 ans sans grève, l’usine Citroën (Peugeot) d’Aulnay-sous-Bois en région parisienne se met en grève pour l’indemnisation du chômage technique à 100%, à l’appel de la CGT et de SUD Auto, qui vient de se créer. Après 11 jours de grève ils obtiennent entièrement satisfaction.

Il faut attendre 2006 pour voir un grand mouvement d’ensemble victorieux, celui du CPE contre la précarité croissante de la jeunesse.

Durant toutes ces années, le mouvement de demande de régularisation des ouvriers sans papiers ne s’arrête pas, porté par des collectifs. Il est davantage pris en charge à partir de 2008 par le mouvement syndical (CGT et Solidaires exclusivement). La grève de neuf mois des travailleurs sans papiers en 2009 et 2010 (ouvriers du BTP, de l’hôtellerie-restauration, du nettoyage...) donne une visibilité nouvelle à ces ouvriers, réfugiés politiques ou économiques, qui ne disposent d’aucun droit.

À partir de la fin 2008, la crise économique entraîne des vagues très importantes de licenciements et un chômage partiel étendu qui provoque la nécessité d’une indemnisation plus grande [80]. Une réaction vive de la part des ouvriers (sous traitants de l’automobile) est enregistrée, des modes d’action syndicale radicaux, (fréquents dans l’immédiat après 68) (séquestration de dirigeants, saccage de bâtiments publics, grèves avec occupation, affrontements avec les gendarmes, menaces de sabotages des lieux de production...) réapparaissent en réaction aux plans de restructurations et aux licenciements boursiers. Face à la mondialisation de la finance, à la mise en concurrence brutale des mains-d’ouvre et des régimes de protection sociale, l’Union syndicale Solidaires et Solidaires Industrie refusent la tentation protectionniste. Nous privilégions les solidarités internationales qui s’esquissent [81], notamment à partir des rencontres initiées dans les forums sociaux mondiaux (FSM) et par l’intervention de nouveaux secteurs sociaux altermondialistes.

À l’automne 2010 se déroule le conflit sur les retraites, qui concerne tous les salariés. Malgré des mobilisations très importantes, dans l’unité syndicale, le mouvement ne peut être généralisé. Des blocages de raffineries et de quelques lieux de travail sont organisés en interprofessionnel par des manifestants radicaux, mais ces mobilisations ne suffisent pas à empêcher la contre-réforme qui repousse de deux années la retraite pour tous les travailleurs.

Camarades, il nous reste à écrire la suite...


Conclusion et questions

L’Histoire du mouvement ouvrier et du syndicalisme, maintenant bicentenaire, est une histoire agitée qui a porté de grandes espérances : constitution des premiers syndicats, obtention de la liberté syndicale (1884), de la section syndicale (1968), des différentes grèves pour obtenir les congés payés, des grèves générales de 1919, de 1936, de 1945, de 1968...

Il n’existe pas de progrès linéaire en Histoire. Par ailleurs ce regard, avec du recul, permet d’observer que les grèves générales, souhaitées, n’apparaissent, dans l’Histoire ouvrière, qu’avec des intervalles de dizaines d’années.

Aujourd’hui le mouvement ouvrier français présente la particularité d’avoir un des plus faibles taux de syndicalisation dans le monde et de représenter en même temps un taux de conflictualité des plus élevé [82]. Ce paradoxe ne s’explique que par sa longue histoire, cette brochure a l’ambition de contribuer à ce que les nouveaux adhérents puissent s’approprier cette histoire.

Une construction lente

La construction du syndicalisme fut difficile, la Révolution de 1789, révolution au profit de la bourgeoisie française, interdit toute forme d’association. Il fallut un siècle pour obtenir le droit syndical (1884), comme il fallut un siècle pour que la République puisse s’établir définitivement (1870). Le vingtième siècle a été celui des guerres mondiales et de tueries d’une ampleur que le monde n’avait encore jamais connue. La classe ouvrière a parfois cédé devant les clairons ou la botte de l’occupant, mais des ouvriers, des syndicalistes, se sont toujours levés pour défendre des valeurs de paix et de solidarité : pacifistes de 1917, résistants à l’occupant nazi de la seconde guerre mondiale. C’est seulement après 1945 que le syndicalisme a pu être davantage reconnu, toujours à travers ses luttes, souvent difficiles... Rien n’est donné, rien n’est définitivement acquis.

Le recul de la syndicalisation, que nous connaissons aujourd’hui et depuis les années 1980, vient après une période particulière de la lutte des classes (1963-1979) où le mouvement ouvrier en France était à son apogée, tant en nombre de syndiqués qu’en représentant de la classe la plus nombreuse dans la société française et dans sa propre histoire [83]. La question de son autonomie depuis la Chartre d’Amiens (1906) est un principe que nous continuons de défendre et que les confédérations syndicales avaient largement perdu de vue dans une histoire récente.

L’Histoire ouvrière en débats

En conclusion de cette brochure nous souhaitons mettre en exergue deux problématiques, deux discussions.

- Tout d’abord, une idée actuellement répandue, prétend que la classe ouvrière en France est en voie d’extinction, en raison des délocalisations ou des changements de l’appareil productif. La réalité chiffrée indique, certes, des chiffres en diminution depuis le point haut des années 1970, mais dans la lutte sociale elle reste toujours « une classe dangereuse » pour les possédants, malgré la précarité et la dérégulation des statuts qu’ils ont imposées. En même temps, ce n’était pas le sujet de cette brochure, mais la classe ouvrière, au niveau mondial, connaît une expansion que n’avaient jamais imaginée les fondateurs du syndicalisme et du socialisme [84]. L’idée de la disparition du monde ouvrier en France ou dans le monde est une idée saugrenue que nous ne partageons pas.

- Le second point qui a été traité, en partie, dans cette courte brochure, a trait à la sociologie de la classe ouvrière. Dans toutes les Histoires officielles du syndicalisme, on voit l’ouvrier comme blanc, de sexe masculin et le plus souvent ouvrier qualifié. C’est une part seulement de la réalité.

De tous temps les non qualifiés ont été les plus nombreux dans la classe ouvrière (enfants, ouvrières du textile au dix-neuvième siècle, manouvres, non-qualifiés des années 1930, OS des années 1970, opérateurs des années 1990 jusqu’à aujourd’hui), les dénominations changent, la difficulté des métiers reste. L’historiographie récente (et notre brochure) montre qu’il existe dans la classe ouvrière des oubliées de l’Histoire : 20% à 30% de femmes, selon les périodes, entre le dix-neuvième siècle et nos jours ont toujours été occupées dans la production des usines. Socialement discriminées, considérées souvent comme salaires d’appoint, travaillant souvent à temps partiel contraint, en charge le plus souvent de la famille, elles sont moins syndiquées et ont mené moins de grèves que leurs collègues masculins... Elles existent tout de même ! Il nous a paru nécessaire de populariser leurs luttes.

L’autre catégorie qui émerge à peine des livres d’Histoire ouvrière, c’est celle de l’immigration, qui représente, aussi, autour de 20% de la classe ouvrière depuis la fin du dix-neuvième siècle (immigrants successifs : Belges, Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais, ressortissants d’Afrique du nord, puis des colonies françaises d’Afrique sub-saharienne, Turcs, Yougoslaves, ressortissants de l’Europe de l’est, Chinois, Pakistanais aujourd’hui). Souvent en butte au racisme, privée de droits, avec des qualifications inférieures du fait de l’absence de formation reçue, cette fraction ouvrière immigrée mena des luttes importantes dans les années post-68. Les luttes pour l’égalité ne sont pas nouvelles (cette brochure en est témoin) mais elles sont très vives depuis quelques années avec le mouvement des ouvriers sans papiers pour leur régularisation.

En conclusion

L’Histoire ne s’arrête pas : cette brochure d’éducation n’aurait pas été écrite de la même manière il y a dix ans et sera dépassée par les luttes, les points de vue à venir, dans quelques années.

L’unité du prolétariat, longtemps mythifiée, est dans l’Histoire, comme on l’a vu, un objectif difficile à réaliser. Aujourd’hui la pluralité des syndicats est grande en France, la coordination des luttes pour aboutir à peser suffisamment (en utilisant la grève générale, entre autres) est une construction à laquelle tous les militants de Solidaires Industrie et de l’Union syndicale Solidaires s’attellent. Nos congrès ont réaffirmé que l’Union syndicale Solidaires n’était pas une fin en soi, et que nous souhaitions contribuer à la recomposition du syndicalisme en France. Cette brochure donne une idée des difficultés rencontrées dans ce sens au cours de l’Histoire ouvrière et syndicale. Le travail ouvrier est réputé, à juste titre, être un travail difficile, la recomposition syndicale l’est aussi... Cela ne nous arrêtera pas !

Robert Kosmman (Solidaires Industrie)

Vidéo sur l’auteur :

Discussion autour de la pratique de la perruque avec Serge et Robert Kosmann from Jan Zizka on Vimeo.

Robert Kosmann participe à entretenir la mémoire de la pratique de la perruque.

https://jan-m.org/documents/


Principale bibliographie utilisée :

- Bron Jean, Histoire du mouvement ouvrier français, 3 tomes, Éditions Ouvrières, 1976

- Willard Claude (sous la direction de), La France ouvrière, 3 tomes, Éditions Sociales, 1993

- Perrot Michèle, Jeunesse de la grève, Seuil, 1984

- Perrot Michèle, Les femmes ou les silences de l’Histoire, Flammarion, 1998

- Schor Ralph, Histoire de l’immigration en France, Armand Colin, 1996

- SNUI, Formation syndicale, Histoire du mouvement ouvrier et de ses organisations, (s.d.)

- Rapport d’activité et résolutions du deuxième congrès de l’Union syndicale Solidaires, novembre 2001, Créteil

- Rapport d’activité et résolutions du troisième congrès de l’Union syndicale Solidaires, décembre 2004, Bobigny

- Rapport d’activité et résolutions du quatrième congrès de l’Union syndicale Solidaires, juin 2008, Saint-Jean-de-Monts

- Rapport d’activité et résolutions du cinquième congrès de l’Union syndicale Solidaires, juin 2011, Villefranche-sur-Saône

Notes

[1] La division du travail est largement antérieure au développement du capitalisme. Sous l’Ancien régime les « spécialistes » sont très nombreux et pratiquent un travail très limité, encadré par les règlements (taillandier, cloutiers, maréchaux, aiguilliers...) comme l’a montré l’économiste A. Smith en 1776 dans son ouvrage « La richesse des nations ».

[2] Cette bière, que les égyptiens appelaient « zythum » (vin d’orge) ou « heneket », était proche de la cervoise gauloise car elle ne contenait pas de houblon (introduit dans la composition de la bière vers le XVe siècle).

[3] Gutenberg reprend en Europe en 1455, l’invention de l’imprimerie qui avait été inventée en Corée et en Chine.

[4] Le terme « ouvrier » n’apparaît couramment que vers 1831-1832. Sous l’ancien régime et au dix-huitième siècle règne un artisanat précaire de village qui est souvent couplé avec le travail de la terre et qui emploie en sus des métiers recensés un grand nombre de travailleurs domestiques non rétribués issus de la famille le plus souvent-femmes et enfants notamment.

[5] À partir du XVIe siècle de nombreuses forges-fonderies voient le jour dans toute la France grâce à la création de hauts fourneaux qui fonctionnent au charbon de bois ; ils rassemblent dans chaque forge régionale quelques dizaines d’ouvriers « internes » (logés sur place) et 150 à 200 ouvriers « externes » (charbonniers, mineurs de fer, voituriers, bûcherons... qui vivent dans les bois). Ces forges qui font aussi « fenderies » alimentent en fers les forgerons de village et divers métiers à domicile comme les cloutiers par exemple.

[6] Machine à filer à énergie hydraulique, puis à vapeur, qui remplace à partir de 1779 l’antique rouet des fileuses à domicile. Elle permet le filage, en un même mouvement, de 30 à 1000 fils en même temps. Elle sera à l’origine de l’expansion de la production textile et de la Révolution industrielle. Elle entraîna la ruine des fileurs de Manchester et du Lancashire en Angleterre.

[7] Issu des corporations, supprimé sous la Révolution, le livret ouvrier indique le signalement de son possesseur, il rappelle aussi l’interdiction des coalitions ouvrières, il doit être visé par le maire ou le commissaire de police lorsque l’ouvrier quitte une ville ou un patron. C’est une forme de passeport intérieur et de surveillance patronale. Il ne sera supprimé qu’en 1890.

[8] L’origine du mot fait référence à la colonisation de l’Inde par l’Empire anglais qui y a imposé la culture du coton. Ce qui entraînera des famines immenses du fait de l’abandon des cultures vivrières.

[9] Le luddisme, du nom mythique d’un certain général Ludd, vient de la révolte des ouvriers anglais dans les années 1811-1812 qui souleva dans le Nord-Ouest de l’Angleterre les artisans du textile contre les premiers manufacturiers (métiers à tisser) où des groupes armés et cagoulés sillonnèrent plusieurs provinces pendant 2 ans pour y détruire les machines industrielles. En France le mouvement n’aura jamais l’ampleur qu’il manifesta en Angleterre. Les bris de machines contre la mécanisation existent surtout dans le midi de la France dans l’industrie lainière. Les femmes sont très actives dans ces révoltes. Elles défendent ainsi leur droit au travail et au travail à domicile. On connaît une émeute à Vienne en 1819 contre la « Grande Tondeuse » (introduction d’une machine Douglas qui supprime les tondeurs de drap). D’autres émeutes sont recensées à Limoux (1819) et Carcassonne (1821).

[10] En 1847 dans les établissements de plus de 10 salariés, on compte 670000 hommes, 254000 femmes et 130000 enfants et adolescents. Les femmes sont surtout nombreuses dans le textile (56% dans l’industrie cotonnière, 69% dans la laine, 70% dans la soie).

[11] Typographe et philosophe, auteur de nombreux ouvrages, partisan d’un socialisme fédéraliste et libertaire. Il influencera notablement le mouvement anarchiste.

[12] Théoricien du capitalisme et du socialisme, auteur du Capital et de nombreux ouvrages historiques, économiques et politiques. Il influencera durablement le mouvement socialiste et le mouvement ouvrier.

[13] Romancière, écrivaine et une des premières femmes auteure féministe.

[14] On les appellera les « quarante-huitards » de manière péjorative, ce qui donnera par homonymie les « soixante-huitards » pour les militants de mai 1968.

[15] Le suffrage censitaire instauré en 1791 exigeait de posséder une somme d’argent importante pour pouvoir voter, le « cens ». Le suffrage devient universel, étendu à tous à l’exception des femmes qui devront attendre 1945 pour pouvoir voter.

[16] Ouvrières du « moulinage » chargées de préparer le fil de soie (le tordre avec un ovale) au sortir de la filature pour le rendre propre au tissage. Elles demandent une augmentation de salaire et une réduction des 12h quotidiennes de travail. Elles seront soutenues par la section de Lyon de l’Association Internationale des Travailleurs (la Première Internationale) et par une large collecte populaire. La grève se termine par un compromis.

[17] En mai 1900 c’est l’entreprise industrielle la plus importante de France, elle occupe 9260 ouvriers et couvre 950 hectares.

[18] Louise Michel, déportée avec de nombreux communards en Nouvelle-Calédonie, sera une des rares à se lier avec les autochtones Kanak, à les alphabétiser et à soutenir leur révolte menée par le chef Ataï en 1878 contre la colonisation française.

[19] Devant un personnel ouvrier instable qui retourne facilement aux travaux des champs quand il a gardé quelques lopins de terre, le paternalisme vise à fixer les ouvriers en les logeant de manière décente. En même temps l’encadrement social se traduit souvent par un régime clérical ou laïc qui s’apparente à la caserne. Ce système permet souvent d’éviter les grèves, de faire des économies de transport ouvrier, en fixant les salarié-e-s sur place avec des avantages sociaux indéniables pour l’époque.

[20] Il y avait 478 syndicats et 64000 adhérents en 1880. En 1895 on en dénombre respectivement 2314 et 436000 syndiqués.

[21] Le terme « coalition », largement employé au dix-neuvième siècle, précède celui de « grève » qui ne sera utilisé que plus tard.

[22] Après les affrontements de Chicago en 1886, les ouvriers américains obtiennent la journée de 8 heures. En 1889, la IIe Internationale décide une journée de lutte dans « tous les pays, toutes les villes à la fois » pour obtenir la journée de 8 heures.

[23] En 1904 on compte en France près de 800000 « travailleurs en chambre » (travailleurs à domicile), dont 86% de femmes. Au recensement de 1906, sur 100 femmes actives, 36 travaillent à domicile.

[24] L’affaire Couriau fait scandale en 1913. À Lyon, une typote (ouvrière typographe qui compose les textes), Emma Couriau, encouragée par son mari, demande son adhésion au syndicat du livre CGT. Non seulement son adhésion est refusée mais son mari est rayé de la section lyonnaise en vertu d’une décision syndicale qui entraîne d’office la radiation de « tout syndiqué lyonnais marié à une femme typote s’il continuait à lui laisser exercer son métier ».

[25] Partisans de Jules Joffrin et surtout de Paul Brousse, tous deux anciens communards, qui veulent rompre avec la pratique révolutionnaire, sont partisans des réformes et du passage au socialisme par l’extension progressive des services publics.

[26] Partisans de Jean Allemane, typographe, communard, déporté en Nouvelle-Calédonie, proche des anarchistes et partisan de la grève générale.

[27] Partisans de Louis-Auguste Blanqui, révolutionnaire, partisan de coups de forces armés, qui disait que « pour avoir du pain, il faut avoir du plomb ! ». Il passa une grande partie de sa vie en prison, mais influença une partie notable du mouvement ouvrier de son époque.

[28] Partisans de Jules Guesde, collectiviste, qui introduit le marxisme en France avec Paul Lafargue et fonde le POF (Parti ouvrier français).

[29] Partisans de Proudhon et Bakounine, très présents dans la Commune de Paris, théorisent « la grève générale » à l’intérieur de la CGT, qu’ils influencent largement jusqu’en 1908.

[30] Capitaine de l’armée française, de confession juive, accusé injustement de trahison avec l’Allemagne. Une vague d’antisémitisme naît alors. Dans le mouvement socialiste, Jaurès et Millerand se retrouvent pour sa défense ; ils font partie des « dreyfusards » derrière Émile Zola. Une autre composante, derrière Jules Guesde, et une partie des blanquistes et des anarchistes, refuse de défendre un « militaire bourgeois » et se retrouve du côté des « anti-dreyfusards ». Le capitaine sera finalement blanchi et réhabilité.

[31] Des délégués de France seront présents aux congrès socialistes pacifistes tenus en Suisse à Zimmervald en septembre 1915 et Kienthal en avril 1915.

[32] L’appellation se maintiendra jusqu’en 1943 où, en même temps que la dissolution de la IIIe Internationale, les communistes français utiliseront le sigle PCF.

[33] Ces conventions collectives de 1919 n’auront aucun effet, refusées majoritairement par le patronat ; il faudra attendre les conventions collectives signées en 1936 (annulées par la guerre et le régime de Vichy) pour voir davantage de conventions appliquées. Ce sont surtout celles de 1950 qui seront déterminantes (classifications OS, OP, P1, P2, P3...) et l’accord de 1955 chez Renault sur la troisième semaine de congés payés, qui entraîneront une politique plus pacifiée et plus contractuelle.

[34] L’Internationale syndicale rouge.

[35] Il s’agit, à cette époque de l’introduction large du taylorisme en France et du début du travail à la chaîne.

[36] L’origine de la dénomination « jaune » fait référence à la grève de 1899 à Montceau-les-Mines. Réunis dans un café, des ouvriers non grévistes sont attaqués à coups de pierres par les militants ouvriers en grève, les vitres du café volent en éclat et les non grévistes remplacent alors les carreaux par du papier de couleur jaune. Ces non grévistes ont alors le soutien de Schneider. L’adjectif reste, est repris par les non grévistes d’abord, puis devient une insulte dans le mouvement syndical.

[37] Cette grève a été popularisée par le groupe d’agitation théâtre « Octobre » dont les textes étaient écrits par Jacques Prévert.

[38] Maurice Thorez, principal dirigeant du parti communiste de 1928 à 1951.

[39] « Poste, Télégraphe, Téléphone », ancienne administration de La Poste et des Télécoms.

[40] Le Kominform, contrôlé par l’Union soviétique, fait suite à la IIIe Internationale dissoute par Staline en 1943.

[41] Du nom du Secrétaire d’État (équivalent du ministre des affaires étrangères) des États-Unis. Plan américain de reconstruction de l’Europe après guerre sous forme de crédits qui servaient à payer les importations en provenance des États-Unis.

[42] Contre le chef du corps expéditionnaire US pendant la guerre de Corée, Matthew Ridgway, en visite à Paris.

[43] Le Mouvement national algérien issu de « L’étoile nord-africaine » est le premier mouvement nationaliste algérien. Une guerre fratricide l’oppose au Front de libération nationale, créé en 1954, pour le contrôle de l’immigration algérienne.

[44] En mars 1956 les pouvoirs spéciaux sont accordés par l’Assemblée Nationale, qui donne les pleins pouvoirs à l’armée, lui permettant de pratiquer largement la torture en Algérie.

[45] Parti socialiste unifié, fondé en 1960 en opposition à la guerre d’Algérie. Il soutiendra les anticolonialistes et sur le plan intérieur, tend à occuper l’espace politique entre la SFIO et le PCF.

[46] Fédération de la gauche démocrate et socialiste, créée en 1965 par François Mitterrand, elle rassemble la gauche parlementaire non communiste.

[47] Homme politique français, radical-socialiste, puis éphémère président du conseil, signataire des accords de Genève en 1954 qui mettent fin à la guerre d’Indochine, il soutient ensuite avec force l’intervention française en Algérie. Il est en 1968 membre du PSU.

[48] Office de radiodiffusion et de télévision française, service public de télévision sous tutelle du ministre de l’information.

[49] Roger Garaudy, philosophe officiel du PCF, opposant de droite à l’époque.

[50] Marin révolté de la mer noire en 1919, initiateur de la Résistance communiste dès 1940, dirigeant du PCF, exclu sur des positions de gauche.

[51] D’abord extrêmement violents, ces syndicats engagent des mercenaires issus directement des anciens militaires de la guerre d’Algérie. Ils font un travail d’intimidation et de répression sur tous les militants ouvriers. Progressivement leur influence va diminuer (surtout après la grève Citroën de 1982), ils continuent cependant leur travail malfaisant (en particulier chez PSA) mais moins violent, sous des appellations diverses : syndicat « autonome », « professionnel » ou « indépendant » dans les grandes usines Peugeot.

[52] Voir à ce sujet, sur Internet, le site de Jean Luc Moulène : « 39 objets de grèves ». Le photographe a réuni comme témoignage les objets fabriqués par des ouvriers et ouvrières dans cette période durant l’occupation de leurs usines.

[53] Alors ministre de l’Éducation.

[54] Union démocratique pour la Ve République, le parti gaulliste aux élections.

[55] Il faut distinguer deux périodes dans la lutte des Lip : celle qui correspond à la période 1973-74 où les ouvriers produisent et vendent eux-mêmes, puis la nomination du patron Neuschwander, raconté dans le très beau film « Lip, l’imagination au pouvoir ». Une seconde période va de 1976 à 1979, où les ouvriers s’organisent en coopérative de production et... sont contraints de licencier la moitié des leurs avant de fermer définitivement. Là encore existe un très beau film qui raconte un choix difficile : « Fils de Lip », de Thomas Faverjon, produit en 2008 par TS Productions.

[56] Mouvement de libération des femmes, principale organisation militante féministe.

[57] Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception.

[58] Par exemple la revendication du versement de 90% du dernier salaire en cas de chômage.

[59] Ces dernières passeront des 10 meilleures années aux 25 meilleures et 40 ans de cotisations au lieu de 37,5, ce qui amènera une baisse généralisée de 20% pour les retraites de tous les salariés du secteur privé.

[60] « Petits chefs », disaient les ouvriers.

[61] Ce qui permet une pression très importante sur les salaires et les conditions de travail. Les statuts acquis dans les grandes entreprises par des luttes menées depuis des décennies disparaissent. En 2009 dans l’industrie automobile, en France il y avait 200000 salariés de l’automobile par exemple et 75000 employés par des sous-traitants.

[62] On arrivait dans les années 1970 à 40% de retouches sur la chaîne des 4L chez Renault à Billancourt.

[63] En 1987 on dénombrait 30000 cercles de qualité en France contre seulement 4000 en Italie, 2000 en Belgique et 1000 en Espagne.

[64] L’industrie automobile se sépare de la moitié de ses salariés. Citroën Javel à Paris (1974) et Renault à Billancourt (1992) ferment et sont rayés de la carte.

[65] « Loi d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail », 13 juin 1998. Sous prétexte de temps de travail « choisi », le gouvernement instaure pour les ouvrières et les employées, surtout, un temps de travail « contraint ».

[66] En un siècle le temps de travail a été divisé par deux et la productivité de ce même travail multipliée par... 28.

[67] -50% en Grande Bretagne, où la saignée est plus forte, sans changement aux USA, alors qu’on compte désormais une classe ouvrière industrielle, concentrée dans les grandes usines d’Asie notamment, qui dépasse le milliard d’ouvriers.

[68] Revenu minimum d’insertion, remplacé en 2009 par le RSA (revenu de solidarité active).

[69] Couverture maladie universelle

[70] Prime pour l’emploi

[71] La surproduction est relative, c’est l’afflux de production qui grandit sans limite, face à un pouvoir de consommation et une demande solvable qui ne permet pas de suivre (logements, automobiles, etc.). En ce sens, aggravée par la crise bancaire US et la mondialisation en temps réel de l’économie, la crise de 2009 est une crise récurrente du capitalisme à l’instar des précédentes de la fin du dix-neuvième (la Grande dépression) et de celle de 1929.

[72] Coordonner, rassembler, construire, qui se transformera en SUD Santé-sociaux.

[73] Fédération de l’Éducation nationale

[74] Syndicat national de l’enseignement secondaire

[75] Unité et action

[76] Fédération générale autonome des fonctionnaires

[77] La CES, créée en 1973, rassemble la plupart des grands syndicats européens ; elle n’a pas montré une grande démarcation par rapport à l’Union européenne. Elle accompagne la constitution libérale de l’Union européenne.

[78] André Bergeron, secrétaire général de FO de 1963 à 1989.

[79] En particulier l’exposition à l’amiante, à laquelle nombre d’ouvriers ont été exposés pendant les 30 dernières années et qui fait rétroactivement, en 2011, 8 morts par jour. Les horaires dits « atypiques » sont essentiellement le travail de nuit, le travail en équipe (2×8, 3×8, 4×8). Le travail de nuit des femmes a été rétabli en 2000 sous prétexte d’égalité !

[80] Il passe en quelques mois de 50% du salaire brut à 60%, puis à 75% (ce qui revient à 90% du salaire net) sous certaines conditions de limitations des licenciements que doivent accepter les employeurs.

[81] En 2008, solidarité manifestée par les ouvriers de Renault en France, notamment au Technocentre Renault en région parisienne, à l’appel de la CGT et SUD Renault, avec à la grève des ouvriers de Dacia en Roumanie.

[82] Grèves de 1995 contre le plan Juppé, de 2003 pour les retraites, contre le CPE en 2006, réactions de colères des ouvriers de l’automobile en 2008, grèves interprofessionnelles de 2009 et conflits radicaux la même année. La situation comparative du taux de syndicalisation dans le mouvement syndical français avec le reste du monde demande à préciser que, dans les pays où ce taux est plus élevé, le contexte est très différent : adhésion obligatoire pour bénéficier des prestations sociales gérées par les syndicats (Europe du Nord), adhésion obligatoire au syndicat s’il y en a un dans l’entreprise ou parfois la branche (USA par exemple).

[83] Autour de 8 millions au milieu des années 1970, environ 6 millions aujourd’hui, une perte de 20% quand dans le même temps, c’est moins 30% en Allemagne, moins 50% en Grande-Bretagne et une équivalence du nombre d’ouvriers entre ces deux dates aux USA.

[84] Au dix-neuvième siècle, seules l’Europe occidentale et l’Amérique du nord pouvaient compter des ouvriers d’industrie, et ils étaient quelques millions. Un recensement en 1990 chiffrait ces mêmes ouvriers d’industrie à plus de 1,5 milliards, et depuis les « ateliers du monde » que sont devenus la Chine et l’Inde ne cessent de se développer.

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