Tribune Solidaires 35 / Serge Bourgin
Le 5 mai 2017, un équipage de 3 « Bacqueux » circule en Zup de Rennes. Vers 19h50, ils veulent contrôler et interpeller un p’tit jeune qu’ils connaissent. Celui-ci se réfugie dans le bar le Sarah Bernhardt.
Le chef de la BAC le poursuit dans le bar le plaque au mur, le fait tomber à terre et lui donne un grand coup de genou dans le visage puis l’extrait du bar et le fait monter en voiture pour l’emmener au commissariat.
Bref, à priori, rien d’extraordinaire… La routine selon le chef de la BAC.
Au commissariat, un OPJ de la Bac qui n’a pas assisté à l’interpellation rédige tout de même le PV, ce qui est illégal. Ce PV relate les raisons de l’interpellation et de la garde à vue (20 heures) ainsi que les circonstances de l’interpellation. Il accuse le jeune de coups de pied envers le chef de la Bac, etc.
A l’appui d’un tel PV, c’était la comparution immédiate et l’incarcération.
Or tout est faux et le film de la vidéo du bar le démontre...
Mais encore une fois, ce genre de pratique policière n’a rien d’extraordinaire…
Les dizaines de manifestants contre la loi travail qui ont été inculpés à Rennes connaissent les pratiques de la BAC et de la SIR (section d’intervention rapide de la police nationale) et ont presque toujours contesté la régularité de la procédure et des faits relatés dans les PV.
Alors ? Alors, Pourquoi le procureur de la République (et donc le ministère public) a-t-il choisi de poursuivre le chef de la BAC dans une affaire minable alors même que la victime n’a pas porté plainte ??
A notre avis, il y a 3 raisons :
1. L’instrumentalisation des forces de police par les politiques
Dans plusieurs communiqués, nous avions déjà analysé et dénoncé la stratégie développée par le gouvernement Hollande-Valls qui a consisté à donner carte blanche à certains policiers et magistrats pour « criminaliser » les mouvements sociaux aux yeux de la population.
A Rennes, le nombre de blessés (plus de 250) et d’hospitalisés démontrent que la répression a été sévère…
A Rennes, le nombre de condamnations démontre que le procureur de la République, Nicolas Jacquet a eu la main très lourde.
Certes, la stratégie de la terreur a partiellement échoué et les manifestations ont continué et continuent.
Mais à force de jouer avec le feu, on se brûle !
Le ministre de l’intérieur, le préfet de région, le procureur de la République et les autorités de police départementales ont donné la totale impunité à la Bac, à la Section d’Intervention Rapide pendant plusieurs années et notamment depuis le début de l’année 2016.
Tous ces politiques les ont encouragés. Ils ont autorisé de nombreux tournages de reportages TV sur la BAC de Rennes qui mise en scène à la clé, les faisaient passer pour des héros du quotidien…
Ces forces de police se sont rapidement crues tout permis : provocations, mise en joue avec les LBD40, tirs, nassages et matraquages à chaque manifestation.
Mais à leur délivrer une impunité totale, ils sont devenues ingérables, incontrôlables. Les manifestations policières ont couronné le tout…
C’est pourquoi, après s’être bien servis d’eux, le gouvernement, l’institution policière et l’institution judiciaire leur délivrent un « carton rouge ». Ils mettent en péril la crédibilité de tout l’appareil répressif juridico-policier dont le gouvernement va avoir besoin dans les prochains mois.
2. Rendre « crédible » la répression judiciaire !
Pourquoi le procureur de la République à Rennes qui classe sans suite la presque totalité des plaintes contre les violences policières a-t-il été pris d’un tel zèle ? Il faut rappeler qu’à la suite de plusieurs plaintes déposées contre la violence des policiers, plusieurs militants ont été entendus par l’IGPN et seulement une seule plainte n’a pas été classée sans suite : celle de l’étudiant qui a perdu un œil à cause d’un tir de LBD 40 opéré par le chef opérationnel de la SIR le 28 avril 2016.
Toutes les autres ont été classées sans suite, notamment la plainte déposée par un des responsables de Sud-PTT victime de coups de poing d’un membre de la BAC, visible très facilement sur un reportage de TVRennes (Du Buzz & Débats 31 mai 2016). [1]
Ce n’est pas le p’tit jeune interpellé le 5 mai 2017 qui porte plainte, c’est le procureur Nicolas Jacquet qui décide lui-même au vu des procès-verbaux et de la garde à vue d’entamer des poursuites judiciaires à l’encontre du chef de la BAC !
Pour comprendre la raison de ce renvoi en tribunal correctionnel, il faut entendre le réquisitoire du procureur à l’audience du 20 juillet 2017. Nicolas Jacquet s’est tout particulièrement adressé à la police, à la BAC, à la SIR (section d’intervention rapide de la police nationale)… Mais aussi aux militants syndicaux ou politiques des mouvements sociaux qui étaient dans la salle. On peut résumer son long exposé ainsi :
« Arrêtez vos agissements sinon je ne deviens plus crédible quand je nie systématiquement l’existence de violences policières dans mes réquisitoires. »
Il a donc dit aux policiers : si vous voulez que je continue à inculper à tout va, à criminaliser les mouvements sociaux et les manifestants, il faut m’obéir. Et pour que je ne passe pas seulement pour un auxiliaire de police, il faut que je mette un « carton rouge » symbolique d’où le choix du chef de la BAC…
Le Chef de la BAC est condamné à 10 mois de prison avec sursis et à indemniser sa victime.
Le procureur anticipe ainsi sur l’avenir et donne l’orientation politique de la justice pénale « macronnienne ».
En effet, il y a encore beaucoup d’affaires (et notamment les 20 de la mousse expansive du métro) en cours. Et il y a évidemment le durcissement de l’arsenal répressif, notamment quand les mesure de l’état d’urgence vont passer dans le droit commun permanent !
3. Le choix de l’affaire : un petit truc pour en cacher de gros
C’est bien le procureur qui de lui-même a choisi cette affaire, somme toute banale, pour proposer une condamnation pénale. Or des affaires de violence policières ou de procès-verbaux mensongers, voire d’accusations mensongères, il y en a beaucoup d’autres, particulièrement lors des manifestations contre la loi travail et lors des arrestations suite à la manifestation « Ni Le Pen Ni macron », les 27 avril et 4 mai 2017.
Certes, compte tenu des mensonges et falsifications du chef de la BAC dans cette affaire, c’était facile de poursuivre. Compte tenu du niveau de réflexion et d’argumentation du chef de la BAC, c’était facile de poursuivre.
Mais il faut le rappeler, cette interpellation n’avait rien d’exceptionnel par rapport aux dizaines d’autres opérées par la BAC à Rennes. Et il était pitoyable de voir le chef de la BAC complètement décontenancé, expliquant qu’il avait fait comme d’habitude. Devant les questions de la présidente, il bafouillait et s’embrouillant dans ses explications. Sa comparution dépassait sa compréhension. Il était tout aussi pitoyable de voir la vingtaine de policiers de la BAC et de la SIR présents à l’audience ne rien comprendre au réquisitoire du procureur. Ce qui les rendait agressif.
Pourtant, l’institution policière et judiciaire avait choisi cette affaire pour réduire au maximum l’effet à : « Un dealer et un policier qui a « failli à sa mission ». Cette présentation devait être « acceptable » pour les médias et les gogos.
L’institution policière et judiciaire a choisi cette affaire pensant qu’elle ne pouvait pas prêter le flanc à une quelconque interprétation « politique ». Or c’est évidemment tout le contraire qu’il faut comprendre.
Cette affaire sert à faire diversion.
Elle sert à faire croire qu’il s’agit d’un acte isolé dans une police exemplaire.
Elle sert à légitimer les lourdes condamnations et la généralisation des violences policières à l’égard des mouvements sociaux.
Elle sert à masquer les bavures importantes entraînant parfois la mort de jeunes de quartiers populaires.
Elle sert à justifier par avance le renforcement du processus de criminalisation des mouvements sociaux.
Pour Solidaires 35 / Serge Bourgin
[1]
ndlr à 25:20
TVRennes (Du Buzz & Débats 31 mai 2016)